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présentées à lui et dans l’ordre où il les a vues. Que ce soit» à Calcutta ou à Madras, sur les cimes de l’Himalaya ou même sur les bords du lac d’Enghien, à Java, à Damas ou dans le golfe d’Aden, c’est toujours la même rapidité, la même fermeté dans l’esquisse, que des contours plus estompés ne feraient qu’amoindrir. Ce procédé est si familier et si naturel à l’auteur qu’une partie de son volume, et non la plus faible, est intitulée Crayons. On y trouve en quelques lignes des portraits et des descriptions qui prouvent par leur seule manière d’être qu’il y a là une fidèle et complète peinture de l’Orient. Un seul point éclairé à propos donne souvent à un tableau plus de couleur que les oppositions les plus savantes ou les tons les plus violens. Ainsi fait M. de Valbezen. Jusque dans les récits qu’il enserre dans un cadre dramatique, sa mise en scène est composée avec les mêmes ressources. Le détail y est sobre et net, dût l’auteur emprunter à un genre différent un procédé qui lui semble plus rapide. Ainsi, dans un Tour aux Neilgerrhies, une seule page contient cinq portraits présentés comme des personnages en tête d’une comédie, et ces cinq portraits suffisent à résumer toute l’administration civile et militaire aux Indes anglaises. Ailleurs, dans la description de la pâque des Grecs à Jérusalem, on voit d’ici ce gentilhomme finlandais, joli petit vieillard gras, lustré, pimpant, ayant parmi ses bagages un aumônier et un autel portatif, sur lequel il se fait servir chaque matin une légère messe.

A côté du procédé de narration et de style, il faut examiner le cadre, c’est-à-dire ce qui constitue plus spécialement la composition, l’inspiration familière fait place ici au mérite inventif, non pas avec le même bonheur peut-être; mais l’auteur de la Malle de l’Inde s’y montre encore assez original pour qu’on puisse le suivre sur ce nouveau terrain. Ce qu’il faut reprocher à ce cadre, c’est un peu la monotonie. Tous ces récits sont écrits par lettres, tous sont le retentissement d’une histoire dont les prémisses se sont nouées sur le boulevard de Gand ou à Regent-street. C’est le high life, la vie de plaisir et de comfortable examinée sous différentes faces, mais prise d’abord à Paris ou à Londres, et trouvant son dénoûment sous le ciel tropical. Dans ces cadres romanesques, M. de Valbezen atteint moins sûrement l’effet d’ensemble; mais il prend sa revanche à l’instant même dans les détails, dans la constante description de mœurs qu’il est obligé de faire, et qui est son principal but. C’est à lui certainement qu’on doit les meilleures relations sur la vie anglaise dans l’Inde. Il en a du reste un profond sentiment, que suffirait seule à révéler l’indépendance de sa plume. Non-seulement il expose, mais il fait comprendre la singulière et puissante ténacité avec la- quelle la race anglo-saxonne reste fidèle à ses coutumes, et transporte avec elle sous tous les cieux ses besoins de comfort et ses plaisirs tranquilles. Même dans ce qu’on pourrait appeler ses scènes de la vie parisienne apparaît ce coup d’œil du gentleman; ainsi le lunch fait rarement défaut aux promenades pittoresques accomplies par les caravanes anglaises.

M. de Valbezen compare en quelque endroit les montagnes des Neilger-