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solitaire de Caprera accepte le commandement qui lui est offert ; il en a demandé l’autorisation au roi d’Italie, qui la lui aurait accordée. Voici donc une nouvelle aventure qui s’ouvre à Garibaldi. Ce qui a dû décider le héros mystique des guerres d’indépendance de ce siècle, c’est assurément la cause humanitaire engagée dans la guerre civile du Nouveau-Monde, c’est l’abolition de l’esclavage. L’acceptation de Garibaldi équivaut pour nous à la certitude que le nord va désormais faire franchement la guerre pour l’émancipation des esclaves. Il y aurait pour nous Européens une conclusion plus modeste et plus rassurante à tirer de la résolution du chef des volontaires : évidemment, s’il croit pouvoir quitter son pays, si Victor-Emmanuel ne le retient pas, c’est que Garibaldi et son roi pensent que l’Italie n’aura pas besoin de sitôt des services et du prestige de son héroïque condottiere.

e. forcade.


REVUE LITTÉRAIRE.

ROMANS ET VOYAGES.

Le plus grand charme d’un récit de voyage n’est pas toujours dans la nouveauté et la bizarrerie des tableaux qui se succèdent, il est dans la personnalité même de celui qui raconte, il est dans cette satisfaction qu’éprouve le lecteur à observer une âme errante en quelque sorte, tantôt aux heures du péril et des graves résolutions, tantôt dans les momens plus calmes où elle se recueille et s’interroge entre les émotions de la veille et celles du lendemain. C’est même à ces momens-là surtout qu’on aime à étudier le voyageur. Pour lui, ce sont les véritables oasis, et il les trouve partout, aussi bien sur les montagnes neigeuses et abruptes que dans les vallées tempérées et verdoyantes, aussi bien dans le bungalow qu’entourent les immenses plaines desséchées par le soleil de l’Inde qu’au foyer des auberges européennes où le retiennent les soirées pluvieuses. C’est précisément l’heure la plus favorable pour recueillir et mettre en ordre les sensations multipliées des jours précédons, pour rédiger à la hâte quelques notes rapides où les choses observées accusent forcément la véritable impression qu’elles ont produite. C’est ainsi, dans cette simple et sincère recherche, qu’on juge le mieux des influences qu’exerce sur notre esprit la variété de tous les spectacles successivement entrevus, quels qu’ils soient, larges horizons, coins de paysage tout à coup dévoilés, mœurs de toute une contrée, certaine figure apparue, certain mot saisi au vol. Notre âme concilie et combine les élémens divers dont elle est subitement pénétrée, et qui lui font parfois découvrir en elle-même certaines affections, certaines pitiés, comme certains enthousiasmes dont elle ne se croyait pas capable.