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par des pensées élevées, prennent toujours un aimable et honnête caractère de fêtes et de réjouissances publiques. Il y a dans ces congrès qui se succèdent et vont tour à tour entretenir des foyers de vie dans les diverses villes de l’Allemagne un charme naturel qui est un des meilleurs traits du caractère allemand, et que, pour notre part, nous ne souhaitons pas de lui voir perdre. Quand la politique vient à se mêler à ces manifestations de la convivialité germanique, elle y mêle parfois des notes discordantes. Ainsi l’assemblée générale du National Verein à Heidelberg a excité dans la presse allemande des controverses qui ne sont pas près de s’éteindre. Le résultat le plus pratique de cette assemblée a été l’agitation pour la construction d’une flotte allemande. L’enthousiasme allemand était parvenu en 1848 à créer, par le seul moyen des dons volontaires, un commencement assez respectable de flotte allemande. Cette flotte fut placée sous le commandement de la lieutenance de l’empire ; mais à peine la diète rétablie, on la démantela pièce à pièce et on la vendit à l’encan. C’est en effet chose un peu difficile que de créer et d’entretenir une marine de guerre pour une confédération composée dans sa plus grande partie d’états éloignés de la mer. Les états de la confédération sont chargés d’un assez lourd fardeau par l’entretien de leurs contingens fédéraux ; il ne sera pas aisé de les déterminer à y ajouter encore le poids d’un budget de la marine. L’enthousiasme est une belle chose, et nous avouons que dans cette question il tend vers un but aussi noble que patriotique, car personne ne contestera l’utilité, la nécessité même d’une protection pour les intérêts maritimes de la nation et pour la défense de ses côtes ; mais si l’enthousiasme suffit quelquefois pour inspirer l’initiative d’une grande création, il ne suffit jamais pour la conserver et en assurer la permanence. Nous voudrions que cette vérité ne fût pas trop négligée par ceux qui en ce moment excitent l’agitation pour la flotte allemande. On peut dire au désavantage de la tentative actuelle qu’en 1848 la manifestation était l’œuvre d’un enthousiasme spontané, d’un élan national, tandis qu’aujourd’hui l’agitation peut paraître factice. On y verra la main d’un parti. Des milliers d’Allemands, excellens patriotes du reste, s’abstiendront d’y prendre part, parce que le mouvement est dirigé par le National Verein. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les sommes recueillies pour la création d’une flotte allemande sont remises de la part du National Verein au ministère de la marine à Berlin. Or la Prusse se chargera-t-elle de l’exécution du mandat qu’on lui attribue, c’est-à-dire de la création de vaisseaux de guerre allemands distincts de la marine prussienne et destinés uniquement au service de l’Allemagne ? C’est douteux. C’est surtout dans l’Allemagne du sud, peu favorable au National Verein, que l’agitation pour la marine sera mal accueillie. On y verra un moyen d’amener par une voie détournée l’Allemagne vers cette hégémonie prussienne que les populations du sud sont loin d’appeler de leurs vœux. Nous le répétons, la création et l’entretien d’une marine de guerre allemande ne peuvent sérieusement s’accomplir que par le concours de la nation en-