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porel ! mais il y a mille ans qu’on n’a entendu parler d’un tel phénomène ! Vous nous devez l’indépendance de l’autorité spirituelle : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’autre garantie de cette indépendance que celle qu’avait établie Charlemagne. Vous vous moquez de nous ou vous voulez nous tromper.

S’il était permis à ceux qui recherchent laborieusement le vrai d’imiter la légèreté et l’étourderie dont on leur donne l’exemple, il serait facile de faire à une fin de non-recevoir si routinière dans la pensée et si peu mesurée dans l’expression une réponse digne d’elle. Deux points sont établis et ne peuvent être contestés : d’une part le pouvoir temporel ne vit pas et ne peut plus vivre par lui-même ; de l’autre l’indépendance, la liberté sont nécessaires à l’église. Nous n’aurions qu’à dire aux adversaires superficiels de la solution proposée par M. de Cavour et par ses successeurs : « Vous avez eu l’adresse de vous placer en face de deux nécessités qui, suivant vous, sont en contradiction absolue. Au fait, la chose vous regarde encore plus que nous. A votre aise donc, messieurs, vous êtes de loisir à la condition que le drapeau français ne quitte pas Rome un seul jour. Tirez-vous de là comme vous pourrez. » Mais il nous est aisé de démontrer que la solution de M. de Cavour est praticable. Nous ne pouvons décemment nous laisser effrayer par cette raison futile, que cette solution créerait un ordre de choses qui n’a point été vu encore dans la politique et dans l’église. Aristote et Cicéron, malgré leur science politique, n’avaient jamais rien vu de semblable à la féodalité ; Guillaume III et lord Chatham n’avaient rien vu de semblable à la république des États-Unis ; Grégoire VII et Innocent III n’ont jamais rien vu de semblable à l’église de nos jours, réglée par des concordats, avec des évêques assimilés aux fonctionnaires et émargeant au budget ! Bien d’autres nouveautés seront vues encore dans le monde, et toujours, comme celle de l’église libre dans l’état libre, elles deviendront possibles dès qu’elles seront nécessaires.

La solution proposée par le gouvernement italien est honnête parce qu’elle s’inspire des véritables intérêts de la religion ; elle n’est pas moins pratique qu’honnête. Mon Dieu ! quand on a guéri l’imagination de la frayeur et de la répugnance que lui inspire l’issue d’une tentative qui va être pour la première fois essayée, les difficultés que l’on avait rêvées s’évanouissent bientôt devant l’action : c’est toujours un peu l’histoire de l’œuf de Christophe Colomb. La solution italienne est réalisable parce qu’elle peut en effet assurer à la papauté les deux garanties d’indépendance que l’on a jusqu’ici demandées au pouvoir temporel, et qu’il n’est plus possible