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ceux qui, soit parmi les hommes politiques, soit parmi les hommes religieux, lui ont demandé des réformes, en ne se croyant animés que par une bienveillance incontestable et un dévouement qui ne peut être soupçonné. Deux hommes seuls dans cette controverse ont vu la vérité et l’ont dite avec autant de bonne foi que de clairvoyance : ces deux hommes sont M. de Cavour et M. de Rayneval. M. de Cavour a dit publiquement dès l’origine, et il le rappelait dans un des derniers discours qu’il ait prononcés, qu’il n’y avait pas de réformes à demander au gouvernement pontifical. M. de Cavour voyait juste : le vice du gouvernement pontifical, c’est sa constitution théocratique ; comment réformer la théocratie sans la détruire, et comment des esprits sérieux et sincères ont-ils pu demander à la théocratie son suicide ? M. de Rayneval n’avait certes pas le courage d’esprit de M. de Cavour : mais il avait le courage de la conscience. Il avouait franchement dans le fameux mémoire qu’il adressa au ministre des affaires étrangères qu’à ses yeux il n’existait pas de solution pour la question romaine. « Si le gouvernement de sa majesté, ajoutait-il, par des motifs aisés à comprendre, désirait mettre un terme à l’occupation des États-Romains, mieux vaudrait livrer les écluses à l’impulsion du torrent que de préparer, soit par des avertissemens publiquement donnés, soit par des combinaisons forcées, le coup de grâce du pouvoir temporel des papes. »

Quant à moi, j’ai toujours admiré le sans-façon de ces hommes d’état qui ont pressé sans relâche le saint-père d’accorder des libertés politiques à ses sujets, ou la naïveté des catholiques bien intentionnés qui ne se fatiguaient point de nous promettre ces généreuses concessions. Les uns et les autres en parlaient bien à leur aise et avaient une bien petite idée de la conscience d’un pape. Les hommes d’état qui vivent dans une région morale où l’on se contente de vérités approximatives, et de laquelle un grand penseur politique, Burke, a pu dire que la ligne droite n’y est pas le plus court chemin d’un point à un autre, les catholiques appartenant à des nations libérales où ils ne peuvent défendre et faire avancer les vérités qu’ils ont à cœur que par la vertu des libertés publiques ne pouvaient-ils donc comprendre les soucis qui torturaient la conscience d’un pieux pontife quand ils lui parlaient de libertés et d’institutions représentatives, quand ils le déchiraient sans pitié entre ses penchans humains et les inflexibles décrets de sa foi ? Plus saint était le pontife et plus douloureuse devait être son angoisse. Nous ne savons rien de plus tragique que ce combat que l’on prolonge depuis douze ans dans l’âme de Pie IX. Il est impossible d’y penser sans émotion et sans attendrissement. Nous avons là sous les yeux un de ces hommes en qui deux courans de l’histoire viennent s’entrechoquer et qui sont