Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunis à Rome pour qu’ils puissent être séparés ailleurs. » Nous le répétons, on doit faire dans un tel langage la part des circonstances. On espérait alors que Pie IX, en rentrant à Rome, rattacherait la suite de son règne aux beaux momens de 1847 ; aucune prévenance, aucune assurance ne coûtait pour l’y encourager. Aujourd’hui que cette illusion s’est à jamais évanouie, aujourd’hui que le terrain sur lequel le libéralisme conservateur appelait alors le pontife souverain a subi des altérations si profondes, aujourd’hui que toute probabilité pratique d’arrangement a disparu, nous n’hésitons pas à déclarer qu’on transformerait en sophismes insoutenables les assertions de M. Thiers et Odilon Barrot, si on les voulait prendre au sens absolu. Il y a dans le rapport de M. Thiers des expressions qui peuvent à bon droit blesser des hommes religieux. Des politiques qui n’attachent pas une suprême importance aux questions qui intéressent la foi pourront dire que l’unité de l’église et l’autorité religieuse du pape seraient inacceptables, si le pape n’était pas souverain, si telle ou telle condition politique faisait défaut à la constitution de la papauté ; des catholiques ne le penseront jamais. De même des libéraux ne sauraient admettre que la notion du droit et de la justice, telle que l’ont posée les libertés modernes, puisse être assimilée à un intérêt particulier qui doit céder à l’intérêt public : la liberté de conscience, le sentiment du patriotisme sont quelque chose de plus élevé que des intérêts. La réunion des pouvoirs temporel et spirituel, qu’elle ait lieu à Rome ou ailleurs, viole partout au même degré la justice et le droit ; osera-t-on dire qu’il faut que la justice soit blessée quelque part pour qu’elle soit pratiquée ailleurs ? Quelle négation de la justice ! L’intérêt public peut imposer des sacrifices aux intérêts particuliers ; l’humanité tout entière n’a aucun droit contre le droit d’un seul homme. Si c’est votre honneur, comme ce fut la gloire de vos prédécesseurs dans la vie publique, de repousser de votre pays le gouvernement théocratique comme une atteinte au droit humain, ne couvrez pas à Rome par l’autorité de votre parole la même atteinte portée au droit. Reconnaissez qu’entre vos principes et ceux du gouvernement théocratique la transaction n’est possible nulle part.

Non, je le sais, des hommes comme M. Thiers et M. Barrot n’entendaient point prêter à la théocratie, même à Rome, la sanction de leurs opinions justement populaires. Ils n’étaient, suivant le mot de Royer-Collard, que les serviteurs du temps et des circonstances. Ils en étaient les serviteurs consciencieux. L’occasion se présentait à eux de tenter une suprême expérience : leur responsabilité leur permettait-elle de substituer leurs prévisions aux chances et à l’enseignement des faits ? Ils aimaient à croire que la papauté répondrait