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losophique, morale et politique ? C’est la faculté donnée, sous certaines conditions stipulées dans l’intérêt général, à ce qui peut être la vérité ou l’erreur, le bien ou le mal, de se produire. L’état laïque, qui ne connaît point la vérité, est bien obligé de laisser la carrière ouverte aux contradictions de la liberté ; mais le pape n’est point désarmé par cette ignorance radicale dont l’état laïque est affecté. Il connaît, lui, la vérité religieuse. Pour lui, la vérité est une : la théologie ne lui permet pas de perdre un seul des fils qui unissent la vérité du dogme à la vérité morale, à la vérité politique. La vérité possède en lui tout l’homme, le souverain politique aussi bien que le pasteur des âmes : elle ne l’abandonne jamais, elle l’accompagne dans toutes ses pensées, dans tous ses actes, dans toutes ses responsabilités. En lui n’est point accomplie cette scission du spirituel et du temporel d’où sort la liberté civile et religieuse ; en lui n’a pas accès ce doute ou plutôt cette incapacité à l’égard de la vérité religieuse qui a fait jaillir de la constitution des états laïques la liberté moderne. Dominé par ce qu’il croit être la vérité, il est contraint de bannir la liberté de son gouvernement ; il ne peut exercer son pouvoir qu’avec l’autorité par laquelle il est lui-même le premier subjugué.

C’est sans doute un grand mal moral que ce désaccord profond qui existe entre la condition du pouvoir temporel et les principes qui président à la constitution des sociétés modernes, et par suite entre le langage de la papauté s’élevant contre ces principes et le langage et la conduite des clergés et des catholiques des divers pays de l’Europe, qui les adoptent et sont même obligés de les revendiquer au nom et dans l’intérêt de leur foi. Nous nous adressons aux catholiques qui sont capables de se soustraire à la tyrannie des accidens et des passions du moment ; nous les prions de vouloir bien oublier ces noms qui les irritent, et qui après tout, malgré leur valeur, ne tiendront qu’une bien petite place dans une question si élevée et si grave. Qu’ils s’élèvent un instant au-dessus de la fumée du combat, pour échapper à l’obsession des figures de la révolution italienne et des actes de ses initiateurs, Cavour, Garibaldi, Victor-Emmanuel, et le reste. Nous leur demandons : « Ce trouble porté dans les âmes par le dissentiment que le pouvoir temporel des papes a fait naître et entretient entre la papauté et la civilisation moderne peut-il servir la religion ? Vous dites par routine que la conservation du pouvoir temporel est une force de votre foi ; mais vous avez besoin, pour exercer sur les âmes la puissance de votre prosélytisme, des formes et des libertés de la société moderne, dont le pouvoir temporel est le flagrant démenti. Pensez-vous que l’on aura dans votre consistance et votre bonne foi la confiance qu’elles méritent,