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ses ministres, faibles hommes comme nous, soumis aux mêmes besoins, sujets aux mêmes passions, organes mortels et corruptibles de la vérité incorruptible et immortelle… Est-ce avec la religion que l’état s’allie ? Cela est impossible ; elle est invisible ; elle ne se produit, ne parle et n’agit que par ses ministres… Le prix de l’alliance, qu’on excuse cette expression nécessaire, est la protection… Par la seule force des choses, et sans préméditation réciproque, quand les ministres de la religion entrent dans l’état, tout ce qu’ils gagnent en protection et en dignités, ils le perdent en indépendance. »

Les fortes définitions et l’imposant vocabulaire de M. Royer-Collard m’aideront, j’espère, à me faire comprendre. Non, il n’est pas difficile d’expliquer, si on interroge sérieusement la nature des choses, pourquoi la liberté est pratiquée et invoquée par plusieurs clergés catholiques, et pourquoi elle est maudite à Rome. Partout où vous rencontrerez des clergés vivans, des clergés qui ne sont point sourds aux paroles de vie de notre siècle, soyez sùrs que dans les pays auxquels ces clergés appartiennent la séparation du spirituel et du temporel aura été partiellement ou entièrement consommée, que l’église y sera en train de sortir de l’état, ou en sera tout à fait sortie. Dans la notion moderne de l’état, le pouvoir, essentiellement laïque, reconnaît son incapacité à saisir et à fixer dans la loi politique la vérité religieuse. L’ensemble des garanties et des libertés sur lesquelles l’état moderne est établi suppose deux choses : en matière religieuse, l’incompétence de l’état ; en matière politique, la participation, au moyen de ces garanties et de ces libertés, de tous les intérêts au gouvernement de l’état. Cette distinction est la racine même de la liberté moderne. Nous sommes assurément loin de prétendre que cette conception ait été également réalisée dans toutes les sociétés européennes ; nous sommes loin même de croire qu’elle soit nulle part encore entrée complètement dans la pratique. Elle a pourtant assez pénétré dans les institutions des diverses sociétés européennes, dans la conduite des gouvernemens, dans la conscience des peuples, pour qu’il soit permis d’affirmer que le principe est posé, que ce qui manque encore à l’application n’est plus qu’une affaire de développemens et de conséquences, qu’en somme la cause de la liberté civile et religieuse est gagnée dans l’humanité. Ce qui le prouve, c’est que ce principe de la liberté civile et religieuse est invoqué avec le plus d’ardeur en certains pays et en certaines circonstances par ceux qui, à certains égards, pouvaient passer pour en être les adversaires naturels et irréconciliables. C’est ainsi que, tandis que Rome anathématise encore la liberté civile et religieuse, cette liberté est, ou revendiquée, ou passivement