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n’acceptent-ils pas, dans une émulation généreuse et dans un esprit de concorde qui fait l’admiration du monde, la tolérance des cultes dissidens et la liberté de conscience ? N’est-il pas permis d’affirmer que c’est là où le catholicisme manifeste le plus de vitalité qu’il se montre le plus libéral ? Quand on a entendu sortir de la bouche brûlante d’un dominicain français le plus magnifique éloge qui ait été jamais prononcé de la constitution libérale et démocratique des États-Unis, peut-on accepter comme le dernier mot du catholicisme sur la liberté moderne les imprécations de la récente allocution pontificale ? Qui nous expliquera donc ce contraste ?

L’explication est simple ; mais cette question romaine a été si encombrée de lieux-communs, de vieilles métaphores, d’argumens diplomatiques routiniers, les surprises et les passions excitées depuis quelques mois ont brouillé tellement sur ce point les idées et le langage, que l’on craint de paraître paradoxal en énonçant les vérités les plus élémentaires. Je cède volontiers au sentiment de défiance de moi-même que m’inspire la confusion présente. Intimidé par le spectacle de ces ultramontains qui se défendent avec les argumens du gallicanisme, de ces libéraux devenus théocrates, de ces âmes religieuses qui adoptent bravement les raisons subalternes des matérialistes politiques pour lesquels la religion n’est qu’un moyen de gouvernement, j’emprunterai pour rendre ma pensée le secours et l’autorité de M. Royer-Collard. Du temps de ce vigoureux esprit, les idées n’étaient pas plus nettes sur les rapports de la religion et de la politique. Il s’en plaignait lui-même en ces termes dans une discussion qui touchait à ces grands intérêts : « Un des caractères de ce temps, disait-il, c’est l’oubli des notions les plus simples, suite naturelle de l’une des plus grandes corruptions qui aient été exercées sur la raison humaine, je veux dire le gouvernement impérial, qui a tout envahi et tout confondu, les idées et les vérités comme les territoires. » Or M. Royer-Collard, un de nos rares orateurs qui aient porté dans l’analyse des questions politiques la netteté et la rigueur d’un esprit philosophique, mesurait dans cette circonstance, comme nous le faisons ici, les degrés de l’indépendance du clergé à la part de pouvoir temporel qui lui était faite. « Faut-il donc rappeler, disait-il, que la religion, ses dogmes, ses préceptes, sa hiérarchie, en un mot tout ce qu’elle a de saint et de divin ne tombe point, ne peut jamais tomber sous l’action des pouvoirs politiques ? La religion est le commerce de la terre avec le ciel : son royaume, ainsi que l’a dit son divin fondateur, n’est pas de ce monde ; ses promesses et ses menaces ne s’accomplissent point ici-bas. Elle est en elle-même et par elle-même ; elle est la vérité sur laquelle les lois ne décident point. La religion n’a d’humain que