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moment où les frontières, les conquêtes et toutes les vieilles organisations des royaumes allaient être au bout de l’épée. Revenu en Amérique, Niemcewicz suivait tout ce mouvement guerrier de l’Europe, exalté ou découragé selon qu’il le voyait s’approcher de la Pologne ou s’arrêter. En 1806, la guerre avec la Prusse lui parut le signal décisif. Il partit de nouveau, et, en arrivant à Bordeaux, il apprit la paix de Tilsitt, qui créait le grand-duché de Varsovie.

Lorsqu’au lendemain de Macieiowice quelques soldats polonais, conduits par Dombrowski, allaient à travers l’Europe rejoindre les armées françaises et formaient ces légions animées à l’espoir de se rouvrir un chemin par les armes jusque dans la patrie morcelée, cette passion d’héroïsme semblait une folie aux esprits sages accoutumés à manier les affaires humaines. Et cependant ces héroïques illuminés tenaient leur parole : ils rentraient avec Napoléon. Une Pologne redevenait possible. Les Russes eux-mêmes le craignaient, témoin ce mot de la princesse Narichkin à Saint-Pétersbourg après la paix de Tilsitt : « au moins il n’y aura pas de Pologne, il n’y a qu’un ridicule duché de Varsovie. » Ce n’était que le grand-duché de Varsovie, il est vrai; mais il rendait à l’indépendance un fragment du sol national; une partie de ce peuple échappait à la Russie et à la Prusse. Il y avait une armée polonaise avec un chef polonais, et cette armée, deux ans plus tard, devait battre les Autrichiens. Niemcewicz s’attacha à cette création incomplète, qui était un commencement de renaissance. Il fut nommé secrétaire du sénat du grand-duché, inspecteur de l’instruction publique. En 1809, pendant la campagne contre l’Autriche, il fut chargé de la défense des remparts de Varsovie. Ces années furent pour lui pleines d’une infatigable activité. Il parcourait le pays, observant tout, étudiant tout l’industrie, l’agriculture, le commerce, les gymnases, et il trouvait encore le temps d’écrire des Voyages historiques. Il sentait que la Pologne renaissante touchait à une crise suprême. Elle avait gagné déjà dans la guerre de 1809 contre l’Autriche. Le dernier mot était dans le duel qui se préparait entre Napoléon et la Russie.

À ce moment décisif où s’ouvrait la campagne de 1812, Niemcewicz fut nommé commissaire pour l’armement du pays. Je ne sais ce que fit le commissaire; mais l’écrivain fit la guerre à sa façon, et vigoureux partisan, dans ses Lettres lithuaniennes, le plus virulent de ses pamphlets après la Bible de Targowiça. C’était sous une forme périodique, et dans le cadre le plus animé, un cliquetis d( lettres supposées, émanant d’hommes de tous les âges et de toutes les conditions, de patriotes, de tièdes, de soldats polonais, de Russes, d’Allemands, de Juifs, et toutes tendant à un seul but, — enflammer le pays. Niemcewicz y prodiguait la verve, l’ironie, la passion, le