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Cette date de la grande diète et de la constitution du 3 mai est restée comme un idéal pour la Pologne. C’était en effet un spectacle d’une noblesse émouvante. Au milieu d’une Europe où les idées nouvelles soufflaient de toutes parts et n’avaient point encore ce reflet sombre de la révolution française, un peuple partiellement démembré, abandonné des nations, se relevait seul, ne prenant conseil que de lui-même, et mettait la main à l’œuvre de sa reconstitution. Ce qui avait fait sa ruine, ce liberum veto d’où était sortie si souvent la guerre civile, il le désavouait; il fondait l’hérédité du trône en même temps qu’il créait les conditions d’une liberté régulière. Les principes qui allaient être proclamés en France, il les inscrivait dans sa constitution, brisant les castes, affranchissant les serfs, créant en un mot l’unité de la nation par l’égalité des droits. C’était la plus légitime des œuvres; mais elle rencontrait des ennemis de deux sortes, — un certain parti polonais résistant par intérêt aux nouveautés jusqu’à sacrifier le pays, et ceux-là mêmes qui, après avoir démembré une première fois la Pologne, épiaient l’heure favorable d’un second partage. De là les complications dramatiques de ces années où tout était lutte à Varsovie et dans les provinces. Tandis que le parti national se hâtait d’agir et d’organiser une Pologne nouvelle, la Russie, gouvernée encore par Catherine, appuyée par la Prusse et l’Autriche, ne songeait qu’à étouffer cette étincelle de vie, ce mouvement réformateur qui déjouait ses calculs, et elle trouvait des auxiliaires dans le parti polonais hostile qui, tout faible qu’il fût, était assez puissant encore pour organiser l’agitation, pour laisser à la révolution le temps de se perdre, à l’étranger le temps d’arriver. En face de la grande diète et de la constitution du 3 mai s’élevait la sinistre confédération de Targowiça, dernier témoignage de la vieille anarchie, suprême et terrible appel à l’intervention étrangère. Elle était l’œuvre d’un très petit nombre de Polonais infidèles, de quelques familles, — les Félix Potocki, les Branicki, les Rzewuski, — qui sont restées depuis lors marquées d’un sceau terrible, qui ont cherché quelquefois à se laver de cette vieille tache, et qui semblent retomber toujours sous le poids de cette fatalité. Quant au roi Stanislas-Auguste, il pâlissait d’anxiété et d’incertitude; il était peut-être de cœur avec les réformateurs de la diète, la crainte l’enchaînait à la Russie. Il voulait rester roi, fût-ce d’un royaume grand comme son chapeau, et dans ses faiblesses il était vraiment l’image mélancolique et débile des pouvoirs touchés par la fatalité. Niemcewicz fut dès le premier jour un des chefs de ce parti national qui tentait ouvertement la conspiration généreuse de sauver l’indépendance du pays par la régénération intérieure. Il était de cette élite des Czartoriski, des Kosciusko, des Kollontay, des Mostowski,