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stupéfaction du commerce, dont l’imprudente naïveté avait réglé ses opérations en vue de tarifs qu’il supposait fixes jusqu’à nouvel avis donné en temps utile. Que doit-il en être dans les affaires de moindre importance, où l’intervention des citoyens n’est plus, comme pour le vote de l’impôt, garantie par un droit national de quatorze siècles! Pour ajouter au péril, le renouvellement incessant des gouverneurs est de tradition. Ce sont presque tous de fort habiles officiers supérieurs de la marine, mais qui ne passent guère plus de trois ans dans ces postes, où l’on ne navigue pas, sous peine de compromettre leur avancement. Ils arrivent pleins de feu et souvent de talent, à défaut d’expérience administrative. Les uns travaillent avec ardeur à s’initier à tous les devoirs de leur mission; d’autres s’en tiennent à la haute direction, et abandonnent à leurs inférieurs les soins étrangers à la politique. Au bout de peu d’années, les gouverneurs repartent avant qu’aucun abus soit déraciné, aucune réforme accomplie. Incarné dans les fonctionnaires qui vieillissent sur place, l’esprit de routine triomphe de l’esprit de progrès. Et puis l’on crie sur tous les tons : La Guyane se meurt, la Guyane est morte! Comment vivre sans droit personnel sous des chefs qui passent et s’en vont comme des ombres? De 1817 en 1857, en quarante ans, elle a reçu quatorze gouverneurs titulaires et six intérimaires. Cessons donc de fermer complaisamment les yeux sur les institutions pour n’accuser que le sol, le climat, les colons. Avec un tel régime, qui duré, sauf quelques variantes, depuis plus de deux siècles, les capitaux tant soit peu prudens ont dû se tenir à distance. Un des premiers articles de la charte octroyée à la compagnie hollandaise de Surinam reconnaît aux citoyens le droit de délibérer sur les affaires publiques, et chacun sait le droit des colons anglais. Dans notre Guyane, non-seulement toute délibération est supprimée dans les campagnes et fort réduite à Cayenne, mais le droit de pétition collective, que le sénat a suffisamment consacré dans ses séances, est interdit, et tout contrôle de la presse manque là où n’existent que l’imprimerie et la gazette du gouvernement, La population serait comme une cire molle et muette aux mains du pouvoir local sans l’écho qu’elle trouve dans la métropole auprès des journaux et même du ministère de la marine et des colonies, sans cesse occupé à réprimer des tendances trop peu constitutionnelles.

Malgré toutes ces dérogations au droit commun de la France, la viabilité coloniale, qui ne comprend que six ou sept canaux et une douzaine de chemins, est loin d’être satisfaisante. Cent mille francs au plus lui sont consacrés annuellement. Sur un budget de près d’un million, dont moitié est fournie par le pays, moitié par la France, la meilleure part est absorbée par les frais d’une adminis-