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imaginé un impôt sur les mutations immobilières, progressif en raison inverse de l’étendue des terres, impôt qu’il a fallu supprimer après quatre années de plaintes et d’amères critiques, en confessant que cette mesure n’avait abouti qu’à favoriser le vagabondage. On a réglé, en adoptant une pénalité sévère, le nombre de jours et d’heures que les noirs doivent sous le régime du salaire et celui de l’association, sans imposer au maître l’obligation correspondante de leur garantir un travail exactement rétribué. Ils ne peuvent quitter leur résidence sans un passeport, et ce passeport doit être à chaque déplacement visé par le commissaire-commandant de leur quartier (pour toute la Guyane il y en a quatorze), ce qui les condamne chaque fois à un voyage de plusieurs lieues, souvent de plusieurs journées. Dans le premier mouvement de fraternité, la république de février avait fondé la fête annuelle du travail, où l’élite des affranchis et des patrons recevait des récompenses pécuniaires ou honorifiques; on a laissé tomber ces fêtes en désuétude. Pour en finir avec cette triste énumération, en 1859 le gouvernement local supprima les écoles gratuites dans les campagnes, et imposa double taxe aux enfans des cultivateurs qui se présentaient pour être admis aux écoles de Cayenne : autre mesure qui, dès l’année suivante, a dû céder à la pression de l’opinion publique et du gouvernement métropolitain, mais qui suffit pour indiquer quelles influences rétrogrades et hostiles à l’émancipation morale de la race noire pénètrent au sein de l’administration. Un plan poursuivi avec tant de persévérance a bien pu entraver et ralentir la constitution de la moyenne et de la petite propriété; elle n’a pu l’empêcher tout à fait. Dans plusieurs quartiers, et notamment dans l’île de Cayenne, à Macouria, Kourou, Tonnégrande, Monsinéry, les noirs ont fondé de petites fermes où l’on remarque une certaine aisance, et qu’environnent des cultures entretenues avec soin. Une excitation indirecte est venue du gouvernement lui-même, qui, en transférant des milliers de forçats à la Guyane, a augmenté la consommation de vivres que les anciens esclaves, recherchant un produit immédiat, aiment particulièrement à cultiver.

Dût-on ramener tous les anciens esclaves et leurs enfans aux usines, aux champs et aux habitations des créoles, espoir chimérique assurément, leurs bras ne suffiraient pas aux besoins de la Guyane. Là mieux que nulle autre part, l’immigration étrangère se justifie par les plus impérieuses nécessités. On a successivement essayé, mais sur de petites proportions, de Madériens blancs de race et chrétiens de culte, déjà usés à la Guyane anglaise par la misère et la maladie, de noirs d’Afrique, d’Indiens asiatiques, enfin de Chinois. On prise peu les Indiens comme trop faibles, et l’on se défie des