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que entièrement. Au lieu de nier une influence certaine et funeste, il vaut mieux constater qu’elle peut être; heureusement combattue. Les preuves abondent pour la Guyane d’une mortalité modérée des garnisons, d’une vie moyenne à peine inférieure à ce qu’elle est ailleurs, de longs services de fonctionnaires, de santés florissantes parmi les Européens qui ont longtemps vécu et voyagé dans la colonie, même d’une longévité centenaire des blancs. La nature ne fait point de sauts, a dit Linné; dans la série de ses créations, tous les extrêmes se relient par des transitions. C’est ainsi qu’elle a préparé le séjour de la Guyane même aux Européens par une agréable ventilation des brises de terre et de mer, et par l’abondante rémunération d’un travail léger. Que l’Européen aide la nature de son côté par une hygiène tonique, par la sobriété dans les travaux et les plaisirs, par une discipline régulière de la vie, et peu à peu ses organes s’assoupliront aux exigences du milieu nouveau, et il pourra couler de longs et heureux jours sous un ciel qu’il redoutait. Sa postérité, née dans le pays, y vivra plus facilement encore; ne voit-on pas à Cuba et à Porto-Rico un grand nombre de blancs créoles travailler la terre, du moins pour les cultures autres que la canne? Que le préjugé ou la loi ne s’oppose pas aux alliances entre races diverses, et une race mixte se formera, mieux trempée encore pour la fatigue.

La colonisation rencontre malheureusement des obstacles d’un autre genre dans la rareté des bons ports et l’isolement géographique. Les bons ports sont le point de départ de toute colonisation prospère, et la Guyane en est à peu près privée. Le rivage de la Guyane forme une ligne tantôt continue en ligne droite, tantôt légèrement ondulée, qui ne s’ouvre nulle part en quelqu’une de ces découpures profondes et abritées si recherchées de la navigation : du côté des terres, deux ou trois lieues de terrains fangeux et noyés; du côté de la mer, un glacis de vase qui se prolonge fort au loin et tient les bâtimens à distance. Sur la ligne indécise de séparation entre les eaux et les terres se dresse une forêt de palétuviers, grands arbres qui envahissent le sol humide et de leurs branches projettent des racines aériennes qui s’implantent à côté des tiges. Autour de chaque débris végétal qui tombe, la boue s’accumule, un réseau de nouvelles branches et de nouvelles racines s’entrelace; moitié solide et moitié liquide, la masse branlante devient un îlot de bois et de fange qui se fixe à la longue, précieuse défense contre une attaque, si elle n’était un obstacle aux communications pacifiques et un écueil pour les navires en quête d’un refuge. Cependant, à mesure que l’action des élémens la consolide, la canne à sucre y trouve un excellent fonds.