des couteaux qu’ils voyaient reluire ; mais que faire ? Toutes les chambres de la ferme, la grange, les deux pièces d’en haut, tout était encombré. Il ne restait de libre que la grande salle pour les gens de la métairie. Il fallait donc bien opérer sous les yeux de ceux qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, devaient avoir leur tour.
Tout ceci s’était passé en quelques instans. Materne et ses fils avaient regardé, comme on regarde les choses horribles, pour savoir ce que c’est ; puis ils avaient vu dans un coin à gauche, sous la vieille horloge de faïence, un tas de bras et de jambes. On avait déjà jeté dessus le bras de Nicolas, et l’on était en train d’extraire une balle de l’épaule d’un montagnard du Harberg aux favoris roux. On lui faisait de larges entailles en croix dans le dos, et de ses reins poilus le sang coulait jusque dans ses bottes. Materne ne put en voir davantage. — Allons-nous-en ! dit-il à ses fils.
Comme ils entraient dans l’allée sombre, ils entendirent le docteur s’écrier : — Je tiens la balle ! ce qui dut faire grand plaisir à l’homme du Harberg.
En ce moment, un bourdonnement de voix s’éleva sur leur droite. — C’est Marc Divès et Hullin, dit Kasper en prêtant l’oreille.
— Oui, ils viennent sans doute de faire des abatis derrière la sapinière pour garder les canons, dit Frantz.
Ils écoutèrent de nouveau ; les pas se rapprochaient. — Te voilà bien embarrassé de ces trois prisonniers, disait Hullin d’un ton brusque ; puisque tu retournes au Falkenstein cette nuit pour chercher des munitions, qui t’empêche de les emmener ?
— Mais où les mettre ?
— Parbleu ! dans la prison communale d’Aberschwiller ; nous ne pouvons les garder ici.
— Bon, bon, je comprends, Jean-Claude. Et s’ils veulent s’échapper pendant la route, je leur plante ma latte entre les deux épaules.
— Cela va sans dire !
Ils arrivaient alors à la porte, et Hullin, apercevant Materne, ne put retenir un cri d’enthousiasme. — Hé ! c’est toi ? Je te cherche depuis une heure…
— Nous avons porté le pauvre Rochart à l’ambulance.
— Ah ! c’est triste, n’est-ce pas ? Que voulez-vous ? quand on fait la guerre !… Vous n’avez rien, vous autres, tant mieux ! Je viens d’envoyer un parlementaire à Framont, pour avertir les Autrichiens de faire enlever leurs blessés. Dans une heure, ils arriveront sans doute… Il faut prévenir nos avant-postes de les laisser approcher, mais sans armes et avec des flambeaux… S’ils se présentent autrement, qu’on fasse feu. Tu viendras ensuite souper à la ferme avec tes garçons, Materne.