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même face du carré ; mais le plus souvent ce même assaut rencontre le même obstacle : la tête de colonne, après avoir essuyé le feu, se brise et dévie sur la droite ou sur la gauche. Les divisions qui galopent sur ses pas suivent le même mouvement. Après avoir passé et repassé dans les intervalles des carrés en absorbant leurs feux, la cavalerie va se reformer et reprendre haleine. Aussitôt les batteries muettes recommencent à tonner, jusqu’à ce que les escadrons s’ébranlent de nouveau.

Ainsi se succèdent ces flots de fer, sans pouvoir entamer les épaisses murailles de l’infanterie ennemie. C’est en quelque sorte le combat inégal des armes blanches des anciens et des armes de jet des modernes, et il semble que la formation particulière de l’armée anglaise entra pour beaucoup dans le résultat. Les historiens de ces guerres n’ont pas assez remarqué[1] que la ligne anglaise, lorsqu’elle se préparait à recevoir un choc, se doublait et se formait sur quatre rangs, au lieu de deux. Je ne puis m’empêcher de croire que cette disposition augmenta sa force de résistance dans le choc, soit que l’infanterie ainsi formée ait plus de feux réservés, soit plutôt que le quatrième rang, même sans tirer, ajoute à la confiance et à la solidité des trois premiers[2].

Cependant le maréchal Ney est vainqueur à ce moment sur toute la ligne. Aux deux ailes, son infanterie a pénétré jusque sur les routes de Nivelles et de Sombref ; au centre, la cavalerie a fait de terribles ravages. Deux régimens anglais, le 42e et le 44e réunis, ne forment plus qu’un bataillon. Le corps hollando-belge a été culbuté, la ferme Gémioncourt occupée : il est cinq heures ; mais à ce moment arrivent par la route de Bruxelles le reste des brigades de Kempt et de Parck, par celle de Nivelles deux brigades d’infanterie de la division Alten et deux batteries. Ce renfort porte l’armée anglaise à 26,238 hommes, quarante pièces de canon. Ney est réduit toujours au même effectif, car Kellermann a comblé à peine le nombre des morts. Encore dans quelques instans vont déboucher par la chaussée de Nivelles les batteries de Lloyd et de Cleeve : elles donneront à l’ennemi la supériorité d’artillerie qui lui manqué.

C’est alors que le colonel Laurent apprend à Ney que son premier corps a été détourné ; peu d’instans après, nouvelle dépêche de Napoléon, datée de deux heures : « Le sort de la France est entre vos mains. » Presque immédiatement cette dépêche est suivie d’une troisième, plus pressante, qu’apporte le colonel Forbin-Janson. Ainsi

  1. Ce détail important n’a pas échappé à M. le colonel Charras.
  2. Les Suisses ont emprunté cette disposition de l’infanterie anglaise : l’expérience de la campagne de 1815 prouve que cette formation pourrait être introduite avec avantage même dans les états du continent où les armes touchent de plus près à la perfection. 1857.