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Un tableau de Giotto, une Vierge, maintenant à Milan, mais dont les panneaux, qui représentent des saints, sont encore à Bologne, arriva dans une église de cette ville; sur ce modèle venu de Florence un nouvel effort se produisit dans l’école, et divers peintres, dont les historiens donnent les noms, s’essayèrent à remplacer, comme Giotto; la raideur par l’expression, jusqu’au temps où parut Francesco Raibolini : c’est Francia. Contemporain au Pérugin, Francia fut pour l’école de Bologne ce que fut le Pérugin pour l’école d’Ombrie, son vrai fondateur. Francia et le Pérugin ont plus d’une ressemblance. Je n’oserais néanmoins les égaler l’un à l’autre en comparant, au musée de Bologne, la Vierge dans la gloire de l’un avec celle de l’autre; mais celle de Francia a pourtant un grand mérite par la chaleur du coloris et la manière noble dont le sujet est traité. Cinq autres tableaux du même maître lui assurent dans le même musée son rang et son autorité de fondateur.

Cependant à quelques pas de ses ouvrages les yeux sont attirés par un tableau qu’ils ne quittent plus : c’est la Sainte Cécile de Raphaël. Ce chef-d’œuvre, commandé pour, la chapelle des Bentivoglio, dans l’église de Saint-Jean-du-Mont, ne parut pas à Bologne, vers 1515, sans y faire aussitôt comme un coup d’autorité. C’est le tableau qui révéla Raphaël à cette partie de l’Italie et qui arracha au Corrège la célèbre exclamation : « Et moi aussi je suis peintre! » Je le revoyais. Il est de ceux qui ont été seize ans la parure du Louvre. Or on ne sait plus aujourd’hui à quel degré s’était élevé dans Paris, vers le commencement du siècle, l’enthousiasme de la peinture. Sous l’empire d’une critique étroite, j’en conviens, et qui n’était ni selon le goût, ni selon la science, il s’était établi une illusion qui fait sourire aujourd’hui : on croyait, pour les arts du dessin, assister à une renaissance qui serait un âge de l’art comme le siècle de Léon X. Deux causes très différentes avaient contribué à inspirer à la France ce présomptueux espoir : c’était d’une part le talent de Louis David et son ascendant vraiment extraordinaire comme chef d’école; c’était de l’autre la présence de ces merveilles de la statuaire antique et de la peinture moderne apportées dans nos murs sur le char de la victoire. Le musée du Louvre était l’entretien de tout ce qui se croyait sensible au génie, et l’on ne pensait jamais initier trop tôt l’enfance au commerce du beau, dont il contenait les plus parfaits modèles. Ceux qui ont l’âge du siècle se souviennent donc d’avoir été, dès leurs tendres années, conduits dans ces galeries où ils apprenaient à bégayer le nom des Raphaël et des Corrège en présence de leurs œuvres, et le trait, le coloris, l’expression, la pensée des plus marquans de ces incomparables ouvrages sont devenus pour nous des souvenirs d’enfance. En approchant de la Sainte Cécile, je m’attendais, pour ainsi dire, à une