Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles ont épuisé leurs munitions, même celles dont on a dépouillé les morts. Réponse : Que le deuxième corps se maintienne dans son poste ; qu’il attaque à la baïonnette.

Le moment est venu d’en finir. Pendant que Blücher a dépensé ses réserves, Napoléon a gardé les siennes. Certain de vaincre, il a déjà donné à sa garde l’ordre de se mettre en mouvement ; il trompe son adversaire par une retraite feinte de quelques troupes avancées de Gérard. Blücher croit à la défaite des Français ; il ordonne la marche de tous les bataillons disponibles sur Saint-Amand. Tandis que l’ennemi découvre ainsi son centre, Napoléon n’a plus qu’à frapper ; mais un incident l’arrête : cet étrange événement suspend tout ; il faut, jusqu’à ce qu’il soit éclairci, éloigner le moment de la crise.

Le général Vandamme vient d’apercevoir, en arrière de l’extrême gauche, un corps d’armée qui se dirige à grands pas sur le champ de bataille. Quelles sont ces troupes ? Sont-ce des Français ou des ennemis ? Le côté de l’horizon par lequel elles arrivent est formé d’une ligne de monticules qui ne permettent pas à la vue de s’étendre au-delà d’une petite lieue. Voyant cette armée si près de lui, le corps de Vandamme, incertain, étonné, a cédé une partie du terrain qu’il vient de conquérir ; la division Girard, plus exposée, s’est retirée plus loin encore. Vandamme fait dire que s’il n’est pas soutenu, il sera forcé de rétrograder vers Fleurus. Un aide-de-camp de Napoléon part au galop pour reconnaître le corps qui est en vue. Une heure après, l’incertitude a cessé. Les troupes qui se sont montrées un moment sur le rebord d’un bassin sont des troupes françaises. Napoléon le sait, il en a une connaissance certaine, et il ne donne aucun ordre pour attirer à lui ce renfort inespéré. Vingt mille hommes de toutes armes sont là sous sa main ; qu’ils fassent encore un pas dans la même direction, ils envelopperont la droite de l’armée prussienne. Déjà ébranlée, cette armée est perdue jusqu’au dernier homme ; mais pour cela il faut un mot, un seul de l’empereur. Ce mot n’est pas prononcé.

Ces troupes ne recevant aucune direction formelle de l’empereur, on les a vues bientôt faire volte-face, redescendre l’éminence, retourner sur leurs pas et disparaître. C’est la bonne fortune de Napoléon qui s’est montrée encore à lui comme dans ses plus beaux jours. C’est l’occasion de Marengo, d’Iéna, d’Eylau, de Bautzen, qui se présente d’elle-même sans être appelée. Il ne l’a pas saisie aux cheveux, elle disparaît. Est-il sage d’espérer qu’elle reviendra dans la même campagne ?

Durant cette attente, plusieurs heures ont été consumées sans résultats. La journée approche de sa fin ; il est huit heures. Il ne reste plus que quelques momens avant la nuit pour exécuter les