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clocher de Planchenoit ; mais les incidens de la lutte sur cette partie éloignée du champ de bataille lui échappaient. Il ne savait qui l’emportait des Français ou des Prussiens. Dans son anxiété, il envoyait officiers sur officiers à Blücher pour le presser d’arriver.

Napoléon sentit que le moment était venu et qu’il fallait tout oser, restaient encore en réserve dix bataillons de la garde à pied, les seuls qui n’eussent pas été engagés. Ils attendaient, l’arme au pied, sur les hauteurs de la Belle-Alliance. Malgré tout, la certitude de vaincre était encore entière chez eux. Les cinq premiers bataillons sont formés en colonnes d’attaque, et ils doivent se succéder, à quelque distance, par échelons; des batteries marchent avec eux dans les intervalles. Napoléon, à gauche de la route, galope sur l’éminence. Il montre de la main la position anglaise. Les soldats se répètent ses paroles : « Mes amis, je veux aller ce soir souper à Bruxelles. » Il enflamme de ses regards cette poignée d’hommes, en qui il a mis sa dernière espérance. Ils lui répondent par des cris enthousiastes qui tous veulent dire : « Sois tranquille. » En défilant à gauche de la Haie-Sainte, ils rencontrent les cavaliers démontés qui s’y étaient réunis en grand nombre; ils les rassurent en passant avec une gaieté héroïque. » C’était à eux d’enlever l’affaire à la baïonnette, » et ils marchaient l’arme au bras, alignés comme à la parade.

Ici les Anglais interrompent le récit pour rapporter une chose qui paraît impossible. Ils racontent qu’à ce moment suprême un officier français de cuirassiers galopa vers eux et passa dans leurs rangs. Il prévint que leur ligne allait être attaquée par la garde impériale et Napoléon en personne. On cite les colonels, les généraux auxquels cet officier fut adressé. Vérité ou mensonge, le duc de Wellington n’avait nul besoin de cet avertissement. Les préparatifs de l’attaque étaient assez visibles. Pour la troisième fois le général anglais répare la brèche qui s’est faite dans son centre. De la gauche il rappelle la cavalerie Vivian et Vandeleur; elle se replie en toute hâte derrière le front. Il comble avec les bataillons de Brunswick les vides ouverts entre la brigade de Nassau et celle de Halkett. La division Chassé se masse en colonnes profondes à la gauche de la brigade Maitland. Pour donner quelque apparence à la brigade de Nassau, on déploie derrière elle, sur un seul rang, les restes des Écossais gris et des hussards de la légion germanique. Sur la gauche, l’infanterie était déployée derrière la haie, le long du chemin creux, un régiment en carré, à l’angle des deux routes. Sur le front de l’armée, l’artillerie est presque entièrement désorganisée.

A ce moment de crise, un événement extraordinaire attire l’attention des trois armées. Une fusillade se fait entendre à l’extrémité droite de la ligne française : c’est la fusillade nourrie, ardente, pré-