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coups redoublés des haches sur les portes, au cliquetis des baïonnettes, mêlés de cris, d’imprécations et même de courts silences, comme dans une citadelle prise d’assaut, qu’il faut suivre les alternatives du combat et deviner quel est le vainqueur ou le vaincu.

Gérard a déjà tenté deux attaques par les deux extrémités du village et par le centre. Quatre bataillons de la division de Henckel sortent de leurs abris et se présentent à tous les débouchés ; ils appellent à eux leurs réserves, ils réussissent à se maintenir comme dans une vaste forteresse. Gérard renouvelle ses assauts, et cette fois il dirige ses principales attaques contre le centre et l’extrémité basse de Ligny, qu’il menace de tourner par sa droite. Les obusiers ont mis le feu au vieux château, l’incendie s’est rapidement propagé sur les toits de chaume attenant les uns aux autres ; mais les fortes murailles de ces masures de granit résistent à la flamme. Nos tirailleurs, cachés dans les blés, arrivent jusqu’aux haies, aux jardins, aux portes de derrière des maisons ; ils y pénètrent, les Prussiens se retirent dans l’intérieur. Une fois introduits au rez-de-chaussée de ces masures, les soldats ont le temps de s’assaillir corps à corps avant que les toits et l’étage supérieur ne s’effondrent et ne s’abîment sur eux. Pendant que la lutte se dérobe aux regards, les batteries sur les hauteurs prennent en écharpe, des deux côtés, les masses qui descendent, pour se joindre aux combattans, dans l’intérieur des rues incendiées. Une immense fumée s’élève du château de Ligny, qui s’écroule ; la flamme des toits de chaume brille de plus en plus vive sur la tête des combattans.

Les Prussiens ont repris la portion avancée du village ; la division de Jagow est venue soutenir celle de Henckel. Toutes deux essaient de déboucher. À l’issue, elles rencontrent des bataillons français serrés en colonnes. Tous font halte sans pouvoir se déployer dans cet étroit espace : les têtes de colonnes s’abordent et se fusillant à bout portant ; mais les Prussiens ont entendu la fusillade sur leurs derrières, ils sont tournés : fusillés en tête, mitraillés en queue, ils se rompent, ils s’éloignent. Les Français s’emparent du cimetière, ils y placent deux pièces de canon.

Ordre au général prussien Krafft de reprendre le village. Une artillerie de renfort le précède ; la huitième division marche après lui, celle de Langen. Six fois le 21e régiment prussien recommence ses attaques, toutes sont repoussées ; les Français restent maîtres de ce qui est à la droite du ruisseau. Le général Krafft envoie au chef de l’armée un de ses aides-de-camp ; il annonce que le village lui a échappé, qu’il va être rompu et rejeté en-deçà du Ligny. Réponse du général Gneisenau : Qu’on tienne encore une demi-heure !

Au même moment, le général Pirch Ier fait dire au maréchal Blücher que ses brigades sont écrasées, qu’en disputant Saint-Amand