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même moment. Wellington attire à lui ses dernières réserves, il forme lui-même la brigade du général Adam en arrière des bataillons de Brunswick; il la replie sur quatre rangs de profondeur. A peine les autres réserves paraissent-elles au-dessus d’Hougoumont, elles sont chargées à fond, sans avoir le temps de se reconnaître.

L’armée anglaise est à bout. Le général Asten est grièvement blessé; sa division perd du terrain. Au centre, la brigade Halkett, chargée onze fois, est détruite aux deux tiers. Le 69e régiment et un bataillon de Hanovriens ont été sabrés. Six drapeaux sont pris dans les carrés; des lanciers les ont portés à l’empereur, que ce terrible choc a rappelé vers la Belle-Alliance : il les reçoit comme un gage assuré de la victoire. Tout l’état-major de Wellington est mis hors de combat. Les brigades de Sommerset et de Ponsonby, derrière les débris de la brigade d’Ompteda, avaient dû s’étendre sur un seul rang, pour tromper sur leur épuisement. Lord Uxbridge ordonne à cette cavalerie exténuée de se retirer plus loin, hors du feu. Son commandant, Sommerset, répond que s’il fait un seul pas en arrière, la cavalerie hollando-belge, plus ébranlée encore, quittera incontinent le champ de bataille. Sommerset reste en position et réussit à tromper par ce faible rideau. Dans l’infanterie, les soldats qui n’ont plus de cartouches, harassés ou découragés, s’éparpillent en arrière; 18,000 hommes isolés emportent les blessés, 18,000 sont blessés ou morts. Il ne reste pas 30,000 hommes dans les rangs; mais un espoir les soutient, et cet espoir empêche la décomposition de l’armée anglaise. Elle tend la main aux Prussiens; déjà elle voit le corps de Bulow se développer en amphithéâtre sur le flanc droit de l’armée française; elle suit attentivement des yeux le corps de Lobau, seule réserve de Napoléon. Ce corps, qui, de la position de la Belle-Alliance, avait menacé d’abord de se joindre aux attaques de la cavalerie, s’éloigne; il change de but. C’est contre un ennemi nouveau qu’il est obligé de se détourner.

Le duc de Wellington aperçoit ce mouvement; il se sent sauvé. Au contraire la cavalerie française entend gronder en arrière le canon des Prussiens : elle s’étonne; mais elle a reconnu sur les mamelons de la Belle-Alliance quelques bataillons déployés de la vieille garde. Cette petite troupe d’élite lui ôte toute inquiétude sur sa ligne de retraite. Elle avance encore; elle reprend un terrain repris vingt fois. Si Napoléon peut encore soutenir sa cavalerie par le 6e corps, ou au moins par la garde, nul doute que la victoire ne lui reste; mais il lui arrive à ce moment ce qui est arrivé tant de fois à ses adversaires : il se trouve obligé d’employer ses dernières forces, pendant que l’ennemi garde encore des troupes pour le moment décisif.

Sur le plateau, l’épuisement des Français est égal à celui des An-