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impunément un feu plongeant auquel ils ne peuvent répondre. Ils couvrent déjà de leurs cadavres les avenues et la lisière du bois d’aulnes; l’ennemi, retranché derrière ses abris, n’éprouve presque aucun dommage.

En cherchant une brèche dans cette sorte de forteresse, des soldats de Reille, conduits par l’instinct, ont suivi des compagnies de Coldstream à l’angle ouest du château; ils ont pénétré pêle-mêle avec leurs adversaires dans la grande cour, mais la porte s’est refermée, ceux des nôtres qui ont franchi le seuil ont été massacrés. A l’est, le verger, bordé de haies vives, est attaqué et défendu avec la même fureur. Suivant les divers incidens de la lutte, les Français se replient et se pelotonnent dans le bois; ils en sortent de nouveau; ils se jettent sur les mêmes clôtures, qu’ils prennent, perdent, reprennent plusieurs fois en peu d’heures. Tout le corps d’infanterie de Reille, c’est-à-dire 12,000 hommes, est occupé à ce combat de haies, de murs, de taillis, lutte de surprise et d’embûche. Les masses solides du château en brique et des dépendances rurales opposent une résistance invincible aux balles de nos tirailleurs.

Napoléon veut en finir : il fait envoyer douze obusiers de l’artillerie de Kellermann. Les bombes pleuvent sur Hougoumont, elles y allument l’incendie. Le château brûle, les flammes dévorent ceux des combattans qui n’ont pas le temps de fuir; mais le combat continue partout où il reste un enclos, une étable, une cour. A travers les nuages de fumée et de cendre qui s’élèvent des décombres, les batteries de Piré, de Jérôme et de Foy répondent aux batteries de la division Alten et de celle de Cooke sur la colline opposée. Le général Bauduin, chef de la 1re brigade, est tué avec le tiers de ses hommes. Bientôt le général Foy, atteint d’une balle à l’épaule, devra se retirer à l’ambulance. Jérôme aussi est blessé au bras et cède le commandement au général Guilleminot. Au lieu d’une feinte, c’est une lutte acharnée dont le principal résultat est d’attirer de ce côté quelques-unes des meilleures troupes de l’ennemi.

Son attention est portée sur sa droite; c’est le moment de rompre sa gauche, conformément au plan que Napoléon a conçu. Cette grande attaque se prépare; elle s’ouvre par le feu de soixante-quatorze canons qui battent l’ennemi du haut des monticules, en avant de la Belle-Alliance. De ce côté, les lignes allongées du corps du général d’Erlon se plient en colonnes sur les hauteurs, d’où elles doivent se précipiter dans la vallée pour gravir la pente, opposée, et couper en tronçons la ligne ennemie. Chacune de ces colonnes abordera le point qui lui est assigné; les chefs le considèrent d’avance, et en étudient les approches. Ney, placé sur la grande route, surveille le mouvement; il écrit au crayon, sous une grêle de bou-