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dre à toute la montagne un avantage qui, dépouillé de son caractère de secte et de localité, ne pourrait plus faire ombrage au gouvernement central[1].» Sachons-le bien, ce changement de nom n’est rien moins qu’une révolution. Les Maronites ne sont plus considérés comme faisant une population à part, ayant un chef indigène; ils ne sont plus considérés que comme des sujets chrétiens du sultan, et faisant corps à ce titre avec les autres chrétiens de l’empire turc. Il semble au premier coup d’œil que lord Dufferin, qui voulait que les ressemblances de langue, de mœurs et de coutumes l’emportassent sur les différences de religion, se contredit quelque peu en prenant la qualité de chrétien pour principe de classification dans les populations du Liban; mais cette contradiction n’est qu’apparente. Il prend les Maronites comme chrétiens pour les réunir aux autres chrétiens du Liban, et il suit en cela le principe de fusion qu’il a proclamé, et non le principe de séparation. « Je continue à croire, dit-il dans une conférence particulière de la commission internationale, que, lorsqu’une population est composée de chrétiens orientaux ayant des croyances différentes, le Turc est le meilleur gouverneur qu’elle puisse avoir. Cependant, comme il faut répondre aux exigences de l’opinion publique en Europe, je ne demande pas mieux que de discuter la proposition d’un pachalik chrétien dans le Liban, pourvu qu’il soit bien entendu que le pacha ne sera jamais choisi parmi les habitans fanatiques et ignorans de la montagne[2]. » Ailleurs, expliquant à sir Henri Bulwer pourquoi il adopte l’idée du pachalik chrétien dans le Liban, lord Dufferin développe encore mieux sa pensée. « Cet arrangement, dit-il, donne une satisfaction raisonnable à l’opinion catholique de la France, détruit la pernicieuse prépondérance de la secte maronite, appelle l’élément chrétien grec à servir de contre-poids, assure l’indépendance civile des Druses, et fait que le contrôle du gouvernement central devient dans la montagne aussi complet et aussi irrésistible que dans toute autre province de l’empire[3]. »

Cette déchéance des Maronites, cette destruction de l’influence légitime qui leur appartient dans la montagne par le nombre seulement, puisqu’il y a, ne l’oublions pas, plus de cent mille Maronites contre vingt-cinq mille Druses, ce contre-poids de l’élément grec, qu’on s’applaudit d’avoir trouvé, et qui n’est qu’une rivalité de plus dans un pays qui souffre déjà trop de ses divisions de sectes, ce contrôle irrésistible de l’autorité centrale, qui livre la montagne à l’arbitraire de Constantinople, tout cela, qui fait le mérite du pa-

  1. Documens anglais, p. 281, n° 220.
  2. Ibid., p. 290, n° 224.
  3. Ibid., p. 320, n° 235.