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des plans et des idées contraires à cette politique; mais ces plans et ces idées s’éloignaient aussi du système stationnaire du gouvernement anglais. Quand la politique française en Orient semble être seulement de tâcher de faire prévaloir autant que possible l’influence de la France, lord Dufferin et ses agens anglais luttent avec beaucoup de zèle et de persévérance contre ses efforts; mais j’ai déjà cherché à montrer que la politique de la France en Orient n’a pas ce caractère exclusif, elle vise à favoriser la civilisation plus encore que l’intérêt français. Nous prenons volontiers la définition de cette politique dans une dépêche du maréchal Soult en 1839, « L’empire ottoman, disait-il, même divisé administrativement par des stipulations diplomatiques,... uni, malgré ce partage, par le lien puissant des mœurs et de la religion, n’en continuera pas moins à former, en face des puissances européennes, ce grand corps dont l’existence a toujours été indispensable au maintien de l’équilibre politique. Les forces qu’il possède dans l’une et dans l’autre de ses divisions actuelles concourent également à ce but, et je ne crains pas de dire qu’en ruinant le pacha d’Egypte, on travaillera à la destruction de l’empire ottoman[1]. » Si c’est là vraiment le système de la politique française en Orient, lord Dufferin s’est trouvé d’accord avec nous en 1860, sans le savoir, sans le vouloir, et sans que nous-mêmes nous nous soyons peut-être assez aperçus de cette conformité entre la politique de lord Dufferin en Syrie et celle de la France en Orient.


II.

Venons donc à l’explication du plan de lord Dufferin, ce plan très anglais à la fois et très peu turc : très anglais, disons-nous, parce qu’il est fort contraire à l’influence de la France en Syrie, et très peu turc, parce qu’il est encore plus contraire à l’autorité illimitée de la Porte-Ottomane. Il y a là, je le sais, bien des choses qui étonneront les lecteurs français. Comment le plan de lord Dufferin peut-il être à la fois très anglais et très peu turc, puisque les ministres anglais sont très turcs? Comment les ministres anglais avaient-ils pu adopter ce plan, puisqu’il était si peu turc, et comment ont-ils pu l’abandonner, puisqu’il était si anglais? Toutes ces choses, bizarres pour nous, s’expliquent par la différence qu’il y a entre notre diplomatie et la diplomatie anglaise.

La diplomatie française se fait toute à Paris : nos agens n’y mettent que le talent et le savoir-faire de l’exécution; mais ils n’y ajoutent rien du leur. On leur donne peu de liberté d’action, et l’usage

  1. Mémoires de M. Guizot, t. IV, p. 534, pièces historiques.