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la politique française. Etonnez-vous que ces deux politiques ne s’entendent pas, quoique étant d’accord, sur le maintien de l’empire ottoman. L’une veut le maintenir en le régénérant par la civilisation, l’autre en faisant de lui le maître et le propagateur du désert.

Lord John Russell en 1860 est-il moins dur pour la Syrie, moins indifférent pour son avenir que ne l’était lord Palmerston en 1839? Je crains que non. Voyez la lettre dans laquelle il demande l’évacuation de la Syrie[1]. Mais que deviendra cette province après l’évacuation? Elle deviendra ce qu’elle pourra. Jamais homme d’état n’a pris plus philosophiquement son parti des maux prévus et visibles de l’humanité. « Prolonger l’occupation, dit lord John Russell, ce serait arriver peu à peu à transporter le gouvernement local de la Syrie aux mains des cinq puissances, et ainsi, au lieu de donner un exemple salutaire et fait pour intimider le fanatisme mahométan, l’occupation syrienne deviendrait un précédent pour d’autres occupations, en Bulgarie, en Bosnie, dans d’autres provinces, et un acheminement au partage de l’empire ottoman. Le gouvernement de sa majesté, n’ayant que le choix des maux, aime mieux voir le gouvernement de la Syrie rendu aux autorités nommées ou agréées par la Porte, selon que la commission internationale en décidera dans l’intérêt de la paix à venir de la Syrie. La responsabilité sera laissée à la Porte et à ceux qui seront chargés de gouverner le pays. Ce système, il est vrai, ne nous donne aucune garantie contre le renouvellement des luttes entre les Druses et les chrétiens; mais tant qu’il y a deux races dans le pays, il ne faut pas compter sur une sécurité permanente[2]. »

Il n’y a plus là, il est vrai, ce terrible mot de désert que l’esprit hardi et peu sentimental de lord Palmerston employait sans répugnance ; mais la Syrie est livrée de même sans hésiter à la Porte-Ottomane, le tout pour la plus grande gloire de la politique anglaise en Orient, c’est-à-dire le maintien intégral et stationnaire de l’empire ottoman.

Est-ce vraiment là le système anglais? Oui, c’est le système du gouvernement anglais; mais j’ai déjà tâché de montrer que les consuls et les agens de l’Angleterre en Orient, éclairés par l’expérience des lieux et des hommes, ne partagent pas cette politique aveugle et rétrograde. Je trouve dans la mission de lord Dufferin en Syrie un exemple fort remarquable de cette différence de sentimens entre le ministère anglais et ses principaux agens. Ici entendons-nous bien : je ne prétends pas que lord Dufferin ait été en Syrie favorable à la politique française. Il a opposé aux plans de la politique française

  1. Documens anglais, p. 186, n° 172. Lord John Russell au comte Cowley, 7 novembre 1860.
  2. Documens anglais, p. 186, n° 172.