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guïté universelle. Je suis persuadé pourtant que l’Angleterre et la France n’ont aucune envie sérieuse de s’annexer quelques-unes des provinces de l’empire ottoman. Elles s’interdisent sincèrement toute ambition; mais cette politique, qui a pour principe commun l’abstention, a sur les formes du maintien de l’empire ottoman des idées et des procédés tout différens. L’Angleterre ne conçoit le maintien de l’empire ottoman que sous sa forme ancienne; elle a l’air de croire que rien n’est changé en Turquie depuis le grand Soliman. Aux yeux de ses hommes d’état, mais non point de ses consuls, les Turcs n’ont pas décliné; les chrétiens d’Orient ne se sont pas relevés de leur abaissement et de leur misère. Des pachas plus ou moins soumis, des sultans plus ou moins voluptueux, un grand empire sans agriculture et sans industrie, l’Orient, qui a civilisé le monde, retombé dans la barbarie, ne faisant plus concurrence à personne, voilà ce que le gouvernement anglais appelle le maintien de l’empire ottoman. La France n’a pas voulu faire de cet idéal de barbarie impuissante le but de sa politique en Orient. Comme il y a des forces nouvelles qui se développent en Orient, comme il y a des populations qui remontent vers la civilisation, la France a pensé qu’il fallait leur faire une place dans l’empire ottoman. Si elles font des efforts durables pour recouvrer leur indépendance, il faut, comme pour la Grèce, consacrer cette indépendance; mais si ces populations, sans pouvoir ou sans vouloir aller jusqu’à l’indépendance, demandent que leur foi, leur vie, leur propriété, soient respectées, et cela au nom tantôt de droits anciens, tantôt de principes nouveaux, la France a pensé que ces justes revendications devaient être écoutées. Elle ne veut pas détruire l’empire ottoman : elle veut le fortifier et le régénérer par la régénération progressive des populations d’origines et de cultes divers qu’il contient dans son sein. Cette politique n’a rien assurément de révolutionnaire; elle est essentiellement civilisatrice. En effet, si l’Orient peut se régénérer par lui-même, tout en restant turc de nom et de titre, la France est heureuse de voir l’Orient échapper ainsi à la tutelle dominatrice de ses voisins; elle est heureuse de voir l’équilibre européen maintenu sans porter atteinte aux droits progressifs de la civilisation. Si au contraire, pour se régénérer tout à fait, l’Orient est forcé de se débarrasser du joug de la vieille barbarie ottomane, la France se trouve heureuse de voir qu’à la place d’un empire qui succombe, il y ait des états prêts à naître et à vivre, des héritiers de la Turquie sur le sol même de la Turquie, de telle sorte que l’Orient n’appartienne point par déshérence à l’ambition de quelque puissant voisin. La politique de la France en Orient pourvoit à l’avenir sous toutes les formes qu’il peut avoir. La politique anglaise s’attache opiniâtrement à la durée du passé.