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lade sans en mourir, et qu’une révolte ne mettait pas tout l’empire ottoman en question. Elle ne prenait donc qu’un intérêt de curiosité à l’agitation des provinces turques. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Une révolte particulière, une sédition de ville, une simple prise d’armes entre deux tribus hostiles met en péril la Turquie tout entière et l’équilibre européen. Je sais que les vieux Turcs attribuent à l’ambition de l’Europe cette difficulté générale que ressent la Turquie à propos de chaque difficulté particulière. L’ambition de l’Europe n’a pas fait la faiblesse de la Turquie; elle s’en est seulement aperçue : de là une tentation très grande pour certaines puissances de profiter de cette faiblesse, et pour celles qui n’étaient pas tentées, parce qu’elles n’étaient pas à portée de la tentation, une singulière jalousie contre les états qui pouvaient hériter d’un malade chaque jour plus près de la mort.

Cet ensemble de convoitise dans les héritiers et de jalousie dans les Turcs exclus de l’héritage fait ce qu’on appelle la question d’Orient, et il est facile d’en retrouver les traits principaux dans les délibérations de la commission de Beyrouth sur l’organisation de la Syrie et du Liban.


I.

Parmi les cinq grandes puissances, il y en a deux, la Russie et l’Autriche, qui sont soupçonnées d’avoir des vues d’ambition sur l’héritage de l’empire ottoman, la Russie surtout, car l’Autriche craint encore plus l’agrandissement de la Russie qu’elle ne souhaite le sien propre. Elle sait que la puissance en ce monde n’est qu’une proportion, et que par conséquent elle perdrait en puissance, quand elle s’agrandirait d’une ou deux provinces à côté d’un état qui en acquerrait trois ou quatre. Mais je laisse de côté la politique de la Russie et de l’Autriche, qui ne se manifeste qu’à certains momens dans les délibérations de la commission internationale de Beyrouth, et je me hâte d’arriver à la politique de la France et de l’Angleterre, parce que ce sont ces deux politiques qui sont le plus en jeu, et je suis forcé de dire en lutte dans la question de Syrie. Cependant ces deux puissances semblent, au premier coup d’œil, avoir en Orient la même politique : elles veulent toutes deux le maintien de l’empire ottoman ; elles professent toutes deux le système d’abstention en Orient, et elles ont raison. N’étant pas contiguës avec l’Orient, elles ne pourraient s’y agrandir que par des possessions lointaines. Je sais bien que l’Angleterre est par sa marine contiguë avec le monde entier, et que la France peut aussi, dans la proportion de sa puissance maritime, avoir quelque chose de cette conti-