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embûches que ces terres rases, cédées par la mer, où l’on croit tout voir, et qui, derrière un rebord de quelques pieds, peuvent cacher des multitudes d’hommes. Le maréchal de Luxembourg l’a éprouvé à Steinkerque. César n’a été surpris qu’une fois : c’est le jour où il a mis le pied sur ces mêmes bords évasés de la Sambre.

En sortant de Fleurus, au nord, par la grande route de Namur, la plaine se déroule en immenses nappes de terrain à peine ondulées. Sans haies, sans fossés, sans murs, la terre ne forme qu’un seul champ ouvert de tous côtés. Sur la gauche, deux de ces vastes plans inclinés s’abaissent en forme de glacis naturels l’un vers l’autre. À l’endroit où ils se rapprochent le plus, ils se terminent à leur base, non par un ravin, mais par un large bas-fond où coule le Ligny. Ce petit ruisseau, de sept ou huit pieds de large sur trois de profondeur, serpente si lentement que l’on a peine à reconnaître qu’il se dirige du sud-ouest au nord-est, et la lenteur de ses eaux montre combien la pente des lieux est peu sensible. Les deux armées occupaient en face l’une de l’autre, sur les deux rives opposées de ce ruisseau limoneux, chacun des deux grands plans inclinés. Aujourd’hui cette plaine est partout perforée de crevasses, de puits profonds pour l’extraction des minerais de fer ; mais alors aucune aspérité du sol n’interrompait l’uniformité de ces pentes, où les bataillons pouvaient se déployer sans trouver d’autres barrières que les blés, qui étaient dans toute leur hauteur et les cachaient souvent plus qu’à mi-corps.

Dans ces vastes bassins, le front de la position des Prussiens était surtout marqué par trois villages. À leur droite, au pied de la ligne de hauteur, Saint-Amand, en murs de brique, qui forme trois hameaux, car les maisons y sont éparses, séparées par des prés, des bouquets de bois, de petits ravins où coule le Riz de Saint-Amand. Au centre, à un quart de lieue et dans un pli de terrain, le village de Ligny, composé principalement de deux rues que séparent l’une de l’autre des champs, des clôtures, le cimetière. Ces rues longues, interminables, pleines en toute saison d’une fange épaisse qui embarrasse le passage, sont bordées de maisons attenant les unes aux autres, en grosses pierres, et couvertes de chaume. Au-devant de ces maisons s’étendent de petites cours emmuraillées, dont chaque face crénelée peut devenir un petit fort. Ce village de granit, alors flanqué d’un château, doit évidemment former le grand obstacle ; mais le ruisseau de Ligny ne couvre pas le village du côté des Français : il traverse seulement la partie basse qui regarde l’armée prussienne. Enfin, à l’extrême gauche de l’ennemi, un peu en arrière, sur le plateau, le gros bourg de Sombref domine la plaine et rattache fortement l’armée prussienne à la route de Namur, sa ligne d’opérations.