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dustrie éprouvent, au sein même des états les plus favorisés, le contre-coup des souffrances auxquelles les intérêts analogues sont en proie au sein des pays minés par les infirmités et les perturbations politiques. Dans le domaine moral, la contagion du mal et la réciprocité d’action ne sont pas moins promptes et efficaces. Il est donc salutaire de ne point oublier, lorsque l’on considère les embarras des autres peuples, que la France, malgré les avantages de sa position présente, n’est pas à l’abri de l’influence fâcheuse et générale que ces crises particulières peuvent exercer au-delà des pays qu’elles troublent. Une vue plus pénétrante, plus ferme et plus juste, devrait même porter la France à aller plus loin et à se demander sérieusement si elle ne peut pas beaucoup, par l’influence morale de son exemple, pour apaiser les désordres qui l’entourent et indirectement la menacent, et si cette façon d’exercer son influence ne serait pas pour elle le plus sûr moyen de se préserver des dangers auxquels l’expose l’état présent du monde.

La France exerce sur les peuples une double action : elle agit sur eux par ses exemples et par les craintes qu’elle leur inspire. Il n’y a nulle vanité de notre part à le dire, et en l’affirmant nous n’encourrons aucun démenti de la part de ceux qui se montrent le plus jaloux de notre ascendant : nous ne pouvons faire un mouvement sans que tout le monde nous imite. Nous avons donné un développement grandiose à nos ressources militaires, et nous avons depuis quelques années fait des guerres qui ne nous étaient point imposées par la nécessité. Qu’est-il arrivé ? Les préoccupations guerrières ont pris la première place dans la vie des autres peuples. Grands et petits nous singent. Si l’Allemagne, avec ses lenteurs et ses ambages, s’applique à organiser le contingent et le commandement fédéral, si dans ce travail elle laisse échapper de bizarres paroles, si par exemple, comme cela vient d’arriver au parlement wurtembergeois, le général Miller, ministre de la guerre, ayant à expliquer les vues des états secondaires réunis l’an dernier dans la conférence de Wurtzbourg, déclare que ces états ont voulu arranger les choses de telle façon qu’ils puissent, en cas de péril, mettre 200,000 hommes sur le Rhin en attendant que la Prusse et l’Autriche parviennent à s’entendre, avouons que c’est nous qui en sommes cause. Si les gentlemen et les bourgeois d’Angleterre sont devenus des soldats amateurs, si lord Palmerston leur décerne ses plus spirituelles flatteries, s’il présente une portion d’entre eux comme valant des soldats de ligne, s’il voit en eux ce bouclier que l’Angleterre ne doit point déposer même en nous tendant la main, interrogeons-nous : n’est-il pas vrai que c’est nous qui involontairement avons suscité les volontaires anglais ? Jusqu’où ne s’est pas étendu ce choléra guerrier ? N’a-t-il pas traversé les mers ? Certes il y avait des causes profondes de déchirement entre le nord et le sud des États-Unis. Le moraliste politique oserait-il cependant affirmer que la manie guerrière qui a éclaté en Europe n’est pour rien dans la passion malheureuse pour ces jeux de soldats qui s’est emparée des deux fractions de l’Union améri-