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mille, d’une coterie. Le héros digne de ce nom est celui qui étouffe en lui-même, pour n’écouter que la voix de la vérité, toutes ces voix caressantes ou irritées qui lui disent de mentir, de ne pas se mettre en dehors des courans qui entraînent la multitude et conduisent aux succès faciles. Est-ce donc diminuer la part de la grandeur morale que d’avouer combien sont lourds et résistans les obstacles dont elle doit triompher ? L’homme sans doute est libre ; mais y a-t-il donc tant d’hommes libres ? Les foules font-elles autre chose que d’obéir à cette âme collective qui parle en chacun de nous ? Beaucoup même n’ont pas besoin d’écouter cette voix, et, ne réclamant aucune part dans la vie historique de l’humanité, se laissent vivre d’une vie purement animale. Les défenseurs les plus décidés de la liberté humaine ne doivent pas méconnaître cette force qui nous rive à nos contemporains et à nos aïeux par le sang, les liens physiques, les influences morales, religieuses et sociales. Nationalité, patriotisme, que sont-ils autre chose que les formes les plus nobles de cette puissance qui nous saisit dès le berceau et étouffe si souvent en nous la voix de la vérité et de la raison ?

L’âme historique est, on peut le dire, l’âme humaine par excellence ; les animaux n’ont pas d’histoire, et l’âme des bêtes est une âme purement spécifique. Les instincts s’y perpétuent sans s’altérer ; les individus ne semblent nés que pour conserver un type et pour occuper une place dans un tableau. Quelques espèces, il est vrai, ont disparu après avoir longtemps vécu ; mais ont-elles pour cela une histoire ? On ne peut en dire rien d’autre, sinon qu’elles ont été et qu’elles ne sont plus. N’est-ce pas faire injure à notre dignité que de comparer le renouvellement monotone des phénomènes du règne animal au drame de l’histoire, où les races, les nations, les époques expriment des idées, des passions, des aspirations toujours nouvelles ? L’âme qui parle dans l’histoire est pour ainsi dire la mer qui porte l’âme personnelle, individuelle et libre, mer qui a ses tempêtes et ses calmes, ses courans et ses écueils. Notre liberté consiste à y chercher notre chemin en prenant pour phare et pour pôle les lumières idéales de l’esprit. Que le flot nous repousse ou qu’il nous favorise, que nous avancions ou que nous reculions, notre œil doit rester fixé sur le but ; notre gloire n’est pas dans le succès, mais dans l’effort.

Le problème de l’âme a de tout temps été l’objet principal de la métaphysique ; mais, on le voit, il se pose aussi en face de la science, quand, s’élevant par degrés au-dessus des lois qui régissent l’ensemble du monde, elle aborde l’étude des êtres organisés, et enfin celle de l’homme et de la grande famille humaine. Une transition simple et naturelle fait passer l’esprit du monde inorganique au monde organisé, de la pierre au végétal, du végétal à l’animal, de l’animal