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Aux premiers rangs de l’école positive en Allemagne, nous trouvons M. Moleschott, professeur de physiologie à Zurich. Dans ses lettres adressées au fameux chimiste Liebig et réunies sous ce titre : le Cercle de la Vie, la doctrine de l’âme, de l’immortalité, de la liberté humaine, l’hypothèse des causes finales sont attaquées avec une éloquente vigueur. Il n’y a pour M. Moleschott d’immortel que la matière, livrée à d’incessantes transformations. Les forces ne peuvent se concevoir en dehors de la substance matérielle, et l’âme ne peut se comprendre en dehors du corps. Une force sans agent matériel qui la supporte est une représentation absolument dénuée de réalité, une conception abstraite et privée de sens. « Pour défendre, dit-il, l’existence de la force vitale, on s’appuie sur ce que nous ne pouvons produire ni animal ni plante ; mais sommes-nous donc en état d’engendrer à notre gré tout minéral composé, alors même que nous en connaissons parfaitement la composition ? Et pourtant qui attribue à la montagne une force vitale ? » Toute la science de la vie n’est plus qu’une extension de la chimie et de la physique, la pensée se réduit à un mouvement de la matière cérébrale, comme le son résulte du mouvement de l’air, la lumière de celui de l’éther. Nous sommes plongés dans une mer de substances en mouvement, et nous ne sommes nous-mêmes qu’un flot parmi les flots de cet océan infini. Quant à notre volonté, elle est la conséquence nécessaire de tous les mouvemens qui nous sollicitent, et, comme la planète est fixée à son orbite, elle se lie invinciblement à une loi naturelle et générale. « Si un homme d’état, écrit l’impitoyable écrivain, ou plus vraisemblablement quelque savant de cabinet nous opposait que quiconque nie la liberté de la volonté ne peut conquérir la liberté, je répondrais que celui-là est libre qui a acquis la conscience où se trouve son être vis-à-vis de la nature, des rapports de son existence, de ses besoins, de ses désirs et de ses exigences, des limites et de la portée de son activité. »

Il y a bien d’autres noms à citer encore après ceux de Vogt et de Moleschott, pour montrer avec quelle énergie l’Allemagne réagit en ce moment contre les doctrines métaphysiques dont elle s’était enivrée pendant la première moitié de ce siècle. Le dogme fondamental de la nouvelle école, c’est qu’il n’y a point de force sans substance. Il n’y a de réel, d’éternel que la substance, que l’atome. Écoutez M. Dubois-Raymond, l’habile physiologiste de Berlin. « Matière et force se complètent l’une par l’autre et se supposent réciproquement ; isolées, elles n’ont aucune consistance, » écrit-il dans la préface de son grand ouvrage sur l’Électricité animale. M. Hermann Burmeister, professeur à Halle et zoologiste éminent, affirme comme Vogt, comme Moleschott, que l’âme n’est qu’une résultante de forces inhérentes à des substances réunies dans un organisme ani-