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mais de s’en séparer définitivement. Il ne les considérait pas, quant à lui, comme complets l’un sans l’autre : il ne plaçait pas l’âme dans un point particulier de notre corps : elle est partout, elle en est la forme substantielle, elle ne diffère pas du principe vital. « L’âme, écrivait-il, est tellement la réalité du corps animé, que c’est par elle qu’il est corps, qu’il est corps organique et faculté vivante. » Cette doctrine fut la croyance générale du moyen âge. L’âme unie au corps jouit de sa vie complète ; séparée de lui, elle ne fait qu’une sorte de rêve ; le dogme de la résurrection de la chair complète celui de l’immortalité de l’âme. Aussi le catholicisme, dont la force a consisté surtout à se mettre en harmonie avec les besoins les plus instinctifs, les plus spontanés de la nature humaine, a-t-il senti la nécessité de donner la résurrection du corps comme complément à l’immortalité. Si nous désirons une vie future, c’est autant et souvent plus pour les autres que pour nous-mêmes. Ce qui nous répugne et nous attriste, c’est la pensée de voir disparaître et se perdre dans le néant ceux que nous aimons, que nos mains, nos lèvres, nos yeux ont cherchés, ceux dont la vie a enveloppé la nôtre de liens si doux et si forts que nous les avons crus indestructibles. Nous voulons qu’ils revivent, mais notre pensée ne peut les revêtir de l’immortalité que sous la forme qui nous est familière, et bien que cette forme ait varié avec le temps et les années, notre espérance l’immobilise et la revêt des traits qui nous ont le plus vivement frappés. La mère, penchée sur le berceau de son nouveau-né, peut-elle le voir dans le ciel autrement qu’avec les grâces innocentes de l’enfance ? Les poètes ont compris ce besoin de notre nature ; quand Virgile, Dante, nous promènent dans l’enfer et le ciel, qu’y retrouvons-nous ? La terre. Lorsqu’il n’écoute que ses espérances, l’homme se dérobe à la froide raison pour se laisser emporter par le sentiment.

Le divorce entre l’esprit et la matière ne fut jamais complet aux yeux des disciples de l’école aristotélique, et les philosophes réformateurs qui aspirèrent à fonder des doctrines indépendantes restèrent soumis sur ce point aux habitudes de leur temps. Bacon, exclusivement physicien, n’admettait qu’un esprit vital et corporel, bien qu’invisible. Van Helmont donna une forme précise à la doctrine qui porte aujourd’hui le nom de vitalisme ; il admit que le principe qui nous fait vivre est distinct de l’âme. Ce principe, nommé par lui archée, sert de trait d’union entre la substance spirituelle et la substance corporelle. Partout où il y a de la vie, il y a des archées : chaque organe a le sien ; mais ils sont, dans l’être vivant, subordonnés à un archée central, qui lui-même est dans l’homme sous la dépendance de l’âme.

Descartes déchira le lien ontologique qui unissait l’esprit et la