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ne connaissons pas mieux l’âme que la vie, et sous ces termes différens se cache sans doute un seul et même mystère. Le principe de la vie est-il différent du principe de l’âme ? lui est-il au contraire identique ? Qui a raison des matérialistes, qui identifient la matière et l’esprit, des vitalistes, qui interposent la vie comme un lien entre le corps et l’âme, des animistes, qui font de l’âme la source et le principe non-seulement des phénomènes intellectuels, mais encore des fonctions organiques ? Telles sont les graves questions que je voudrais examiner à l’aide des plus récens travaux de la métaphysique et de la science. Ce n’est pas d’ailleurs l’école physiologique de Montpellier qui a inventé le vitalisme, ni Stahl qui a découvert l’animisme : on peut retrouver dans l’antiquité la plus reculée les germes de ces grandes doctrines. En effet, on comprend à peine que l’homme existe sans se demander à lui-même, en termes plus ou moins précis, ce qu’il est par rapport au reste du monde, par quoi il diffère de la matière inerte, si le principe secret qui le fait vivre et penser doit mourir avec lui ou lui survivre ; mais ces questions redoutables ne prennent pas la même forme dans tous les esprits, et chez le même homme il est des heures où elles sont rejetées comme un poids inutile, d’autres où elles s’imposent avec une irrésistible autorité. Ce qui est vrai pour l’homme est aussi vrai pour l’humanité. L’un des plus vifs attraits de l’histoire de la philosophie est de nous montrer les défaillances, les conquêtes, les transports successifs d’une grande âme qui se développe à travers le temps et dans des milliers de canaux. Un regard rapide jeté sur de récens travaux montrera quelles solutions nombreuses a reçues déjà le problème de l’âme de la part des matérialistes, des animistes et des vitalistes en France et en Allemagne ; nous essaierons ensuite de montrer dans quels termes il se pose actuellement entre les diverses écoles, et quelle lumière il doit attendre des sciences naturelles ainsi que des sciences historiques.


I.

La distinction réfléchie de ce que nous entendons par l’âme et par le corps n’était pas aussi nette, aussi complète dans l’antiquité qu’elle l’est devenue pour nous. Pendant longtemps, on peut le dire, le spiritualisme et le matérialisme sont demeurés presque confondus, comme deux fleuves qui mêlent leurs eaux. Chez les Grecs, amoureux de la beauté plastique, on reconnaît une tendance instinctive à sacrifier l’esprit à la matière. Thalès aperçoit dans l’âme une force, un principe d’activité et de mouvement ; mais les notions sur l’essence corporelle et l’essence spirituelle sont alors si mal dégagées les unes des autres que le même philosophe, voyant l’aimant pro-