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tion. De tels problèmes d’ailleurs ne surgissent pour nous que sur cette limite vague et indécise qui sépare le domaine de la science de celui de la métaphysique. Heureux ceux qui, bornant leurs vœux et leurs espérances, se contentent d’arracher quelques secrets au monde phénoménal, en analysent patiemment les lois, enregistrent des faits, sans chercher à pénétrer l’essence même des forces naturelles ou de la substance qu’elles mettent en mouvement ! Celui au contraire qui veut embrasser l’ensemble du monde dans ses investigations ambitieuses, qui n’accepte pas la dualité commode de l’esprit et de la matière, qui veut du moins en réconcilier les termes et en saisir le contact, celui-là se condamne à des doutes étranges que la certitude scientifique ne réussit point encore à dissiper complétement.

Cependant il est certains esprits qui ne peuvent résister à l’attrait de ces problèmes. La science nous ramène toujours à l’homme, et l’homme à la philosophie. Dans notre œil est toute l’optique, dans notre oreille toute l’acoustique. Ce poids que traîne la vieillesse, et que l’adolescence porte avec une grâce si facile, est ce qui relie aussi les mondes dans leurs orbites. La chaleur qui nous anime est une parcelle de la chaleur universelle ; les nerfs sont des télégraphes qui impriment dans le cerveau les sensations produites par le dehors et qui transmettent aux sens nos volontés. Toutes les forces de la nature sans exception ont été mises en réquisition pour créer ce composé étrange qui s’appelle l’homme. Le temps, l’espace et le monde ne peuvent rien nous apprendre que nous ne puissions étudier en lui, et nous y trouvons de plus ce que nous ne découvririons jamais ailleurs. L’homme n’est pas seulement un poids, une réunion d’atomes chimiques, l’assemblage le plus délicat d’instrumens physiques ; il est encore une force personnelle, une âme. Ce n’est donc pas sans raison qu’on a placé la biologie ou l’étude de la vie au couronnement de tout l’édifice scientifique. Après avoir traversé les cercles nombreux des connaissances humaines, on se trouve forcément ramené à ce centre, que la métaphysique prend de son côté pour point de départ ; seulement elle étudie l’être en soi, sans forme, sans soutien extérieur, sans action définie sur ce qui le borne et le limite, tandis que la science l’envisage surtout dans ses manifestations et ne se rapproche que par degrés de l’inconnu qui gît sous les phénomènes. Ces deux méthodes représentent chacune une opération légitime de l’esprit : aller de l’objet au sujet, ou inversement du sujet à l’objet, n’est-ce pas franchir le même intervalle, passer sur le même abîme ?

Étudier les rapports de la substance corporelle avec la substance cachée qui en règle les mouvemens, tel est le grand problème de la métaphysique, tel est ainsi le but final de la science. La première parle plus volontiers de l’âme, la seconde de la vie ; mais nous