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jaillir la vérité qui se cache le plus. Cessons donc de répéter des versions que Napoléon lui-même eût rejetées, si le temps et la force des choses lui en avaient révélé comme à nous la fausseté. N’accusons plus si légèrement la mémoire de Michel Ney ; n’a-t-il pas payé assez chèrement les fautes d’autrui ? Fallait-il encore l’accabler de tant d’ordres, d’instructions imaginaires ? Était-ce bien sur lui qu’il fallait, de Sainte-Hélène, faire retomber les colères de la France vaincue ?

L’histoire répétera, avec les documens inédits, avec la correspondance de Jomini, avec le sage et impartial auteur de la relation hollandaise, Loben Sels, avec le colonel Charras, que Ney fut aux Quatre-Bras ce qu’il avait été dans ses grands jours, qu’il trouva dans le désespoir une énergie surhumaine, que, son action étant subordonnée à celle de Napoléon, il dut attendre la décision, quoique tardive, du chef, qu’il empêcha un seul Anglais de se joindre aux Prussiens à Ligny, quand c’était là toute la combinaison des armées ennemies, qu’il laissa ainsi à Napoléon le temps de vaincre et de saisir la fortune. Sont-ce là des preuves d’aberration d’esprit, comme parle la première relation ? Mais n’anticipons pas[1].


III. — RETARDS DU DUC DE WELLINGTON. — CONCENTRATION DE L’ARMÉE PRUSSIENNE. — TEMPORISATIONS DE NAPOLÉON.

Cependant le duc de Wellington avait reçu le 15, à quatre heures après midi, à Bruxelles, la première alerte dans une dépêche du maréchal Blücher. Le général anglais se persuada faussement que l’attaque des Français menaçait d’abord les Anglais dans la direction de Mons. Tranquille de ce côté, il ne change rien à ses dispositions. Seconde dépêche plus pressante de Blücher à dix heures du soir : il fait connaître la force des Français, le passage de la Sambre

  1. J’ai dit plus haut que la correspondance entre le duc d’Elchingen et le général Jomini est un modèle dans l’art d’appliquer la méthode géométrique à la recherche d’une vérité importante de l’histoire militaire. Quand cette correspondance parut en 1841, je fus frappé de voir que le général Jomini gardait un doute parce qu’il supposait que Napoléon avait eu l’intention d’occuper Sombref le 15 au soir. Persuadé du contraire, j’en cherchai la preuve ; je n’eus pas de peine à la trouver, puisque Napoléon l’a fournie lui-même. C’est par là que je commençai mes recherches sur la campagne de Waterloo. J’en formai un mémoire que je donnai en 1844 au duc d’Elchingen. Par quel hasard la déclaration positive de Napoléon, qui tranchait le problème si habilement débattu entre les deux auteurs de la correspondance, leur a-t-elle échappé ? Par un de ces hasards qui font que ceux qui savent le mieux une chose en oublient quelquefois un détail important et décisif. En voyant cette déclaration formelle de Napoléon, le duc d’Elchingen regrettait de l’avoir omise dans sa correspondance ; il pensait que le général Jomini se serait rendu à l’évidence mathématique. M. le colonel Charras arrive aux mêmes conclusions par une autre voie non moins sûre.