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Miscellanies, se répandent à quatre ou cinq cent mille exemplaires. Ce ne sont pas seulement les Magazines qui se sont multipliés en se mettant à la portée des petites bourses ; les journaux politiques ont tenté, il y a trois ou quatre ans, la même transformation. Le premier journal qui ait été à Londres le pionnier de la presse à bon marché est le Daily Telegraph. Un grand journal, de quatre pages, à texte très serré, pour 10 centimes, parut d’abord une nouveauté téméraire. Cependant le succès ne se fit point attendre et se consolide encore tous les jours : une presse gigantesque, étonnante machine d’une force et d’une activité merveilleuses, suffit à peine aujourd’hui pour couvrir assez vite de caractères noirs les aunes de papier qui se succèdent de minute en minute dans l’imprimerie du Daily Telegraph. Il fut suivi dans la même voie par le Standard et par un grand nombre d’autres feuilles politiques. Ce mouvement a même emporté d’anciens journaux de Londres, qui ont été obligés de bouleverser leur vieille base financière et d’adopter le système nouveau. N’est-il pourtant pas vrai de dire que la presse à bon marché a plutôt étendu que déplacé les abonnés ? Une autre mesure qui doit sans contredit donner une grande impulsion au journalisme et à la librairie anglaise est le rappel du droit sur le papier.

Dans les meetings qui ont préparé et arraché cette victoire, les orateurs anglais ont beaucoup appuyé sur les rapports du papier avec la littérature, avec les arts et avec l’éducation des masses. Ces rapports sont trop évidens pour que je m’y arrête. L’économie que produira le retrait de cette taxe sur l’intelligence, comme disent nos voisins, ne tombera point dans la caisse des journaux : les uns seront obligés d’abaisser leur prix d’abonnement, les autres introduiront des changemens heureux dans le format ou dans la rédaction. Ce sera donc en définitive le public qui y gagnera. D’un autre côté, il se fondera encore de nouvelles feuilles périodiques. Ailleurs on pourrait craindre que le grand nombre des journaux ou des publications hebdomadaires n’affaiblisse le pouvoir de la presse en la divisant ; mais je ne crois point que ce danger soit à redouter dans la Grande-Bretagne. Il y a quelques années, lors de l’abaissement des droits de poste sur les feuilles imprimées, certains publicistes anglais avaient prédit comme un malheur que chaque profession, chaque paroisse, chaque petit groupe voudrait avoir son organe ou sa trompette. Ils ne se sont point tout à fait trompés en ce sens que le nombre des journaux de clocher s’est très étendu depuis ce temps-là. Il me tombait dernièrement entre les mains une feuille intitulée Shoreditch Observer. Shoreditch forme un quartier de Londres, et c’est à peu près comme si la rue Saint-Martin à Paris se mettait en tête d’avoir son journal ; mais après tout où est le mal ?