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un mal : c’est l’inconnu qui alarme. Tout à coup cette même fabrication s’éveille en pleine liberté, elle voit d’un côté le droit sur le papier qui se retire ; mais elle voit de l’autre le marché qui s’ouvre et la concurrence étrangère qui la menace. Lors de la discussion sur cette mesure devant la chambre des communes, un membre du parlement a cité vingt-cinq journaux anglais qui avaient déjà renoncé à faire leur provision de papier dans les fabriques du royaume-uni pour envoyer leurs commandes en Belgique et en Allemagne. La France, on le pense bien, ne restera point en arrière, et poussera sans contredit ses feuilles blanches au-delà des flots du détroit. Les paper makers de l’Angleterre craignent le papier étranger, non à cause de la qualité, — il s’en faut de beaucoup, — mais à cause du bon marché. La France, l’Allemagne et la Belgique étant, comme ils disent, la terre du chiffon, et la main-d’œuvre se trouvant moins chère dans ces trois pays que dans la Grande-Bretagne, ils envisagent avec une certaine inquiétude les conditions de la lutte. À les entendre, ils affronteraient volontiers la concurrence, si on ne leur refusait point la base même de leur industrie. « Envoyez votre papier, disent-ils, aux nations du continent ; mais laissez-nous avoir le chiffon, et nous ne serons point les derniers à entrer en lice avec vous sur tous les marchés de l’Europe. » D’un autre côté, les éditeurs de Londres que j’ai consultés sur cette question importante regardent, même dans l’état présent des choses, les appréhensions des fabricans anglais comme chimériques. D’abord, selon eux, le papier étranger paiera à la douane britannique un droit égal à celui que le papier anglais versait dans les caisses de l’excise avant le retrait du paper duty, et ensuite les manufactures du continent ne sauraient, disent-ils, leur fournir un papier comme ils le veulent. Je laisse au temps le soin de prononcer sur des avis qui sont encore fort divisés ; mais dès maintenant je me demande si les fabricans de papier anglais ne redoutent pas plus encore la concurrence intérieure que la concurrence étrangère. Le paper duty était une charge ; plus cette charge était lourde, et plus elle créait en même temps un privilège entre les mains des riches propriétaires de moulins à papier. La preuve en est que le nombre des manufactures de ce genre a plutôt diminué qu’il ne s’est accru depuis quelques années dans la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, par le fait même de l’abolition du droit, ce monopole se trouve détruit, et l’industrie du paper making éparpillera bientôt ses moulins sur le bord des petites rivières de l’Angleterre et de l’Ecosse. En Irlande surtout, l’île de la verdure et des cours d’eau, cette branche de fabrication peut répandre les fruits du travail sur une population oisive et malheureuse.