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Ainsi la seule chose que l’on puisse induire de cette conférence, c’est que la résolution de l’empereur n’est pas encore formée ; elle ne le sera que dans la matinée du 16. Napoléon instruit alors Ney, par une dépêche, du projet que vient d’enfanter la dernière moitié de la nuit. Il partage son armée en deux ailes : il donne l’aile gauche à Ney, la droite à Grouchy. Il garde sous ses ordres immédiats une puissante réserve, qu’il portera, suivant les circonstances, vers l’un ou vers l’autre. Dans tout cela, il ne s’agit encore que du principe général de la campagne.

Quant à un ordre précis, à une résolution de détail, pour la première fois le nom des Quatre-Bras est prononcé dans un ordre du 16, du major-général : « L’empereur ordonne que vous mettiez en marche les 1er  et 2e corps pour les diriger sur l’intersection des chemins dits des Trois-Bras. » C’est là un ordre formel, mais c’est le premier de ce genre que l’on puisse découvrir, et il n’est pas question de tomber tête baissée sur l’ennemi, ou sur la position dont on s’est encore si peu occupé que le nom même en est écrit imparfaitement. Il s’agit seulement de se diriger vers les Quatre-Bras. On savait donc bien que cette position n’était pas occupée par Ney, et l’on ne témoigne en rien l’étonnement, le mécontentement que l’on affectera plus tard. Ni reproches, ni surprise, ni hâte.

Seconde question. — À quelle heure cet ordre positif a-t-il été donné ? à quelle heure a-t-il été reçu ? Napoléon, dans sa seconde version, ne s’approche guère plus de la vérité que dans la première. « Le maréchal Ney, dit-il, reçut dans la nuit l’ordre de s’emparer des Quatre-Bras. Le comte de Flahaut, aide-de-camp-général, porta cet ordre. » Par cette désignation, on avait un moyen de s’assurer de l’exactitude du récit. Le général de Flahaut, interrogé sur ces détails, a répondu qu’il avait écrit l’ordre à Charleroi, sous la dictée de l’empereur, entre huit et neuf heures du matin. Or de Charleroi il y a quatre lieues à Frasnes, où se trouvait le maréchal Ney. Le général Reille vit passer le comte de Flahaut à onze heures à Gosselies ; celui-ci avait encore une lieue pour atteindre le maréchal.

Nous voilà bien loin des supputations de Sainte-Hélène. Le premier ordre de se diriger sur les Quatre-Bras est du 16 et non du 15 au soir ; il a été reçu dans la matinée et non dans la nuit, vers onze heures et demie et non à la pointe du jour. Dans tout cela, pour arriver à l’évidence il n’est besoin d’aucun raisonnement. Les dates, les heures, les faits parlent d’eux-mêmes.

Mais, dit-on, car comment renoncer si vite à une idée si aisément acceptée ? il a pu y avoir une instruction verbale donnée sans témoin, directement par l’empereur au maréchal dans la soirée ou dans la nuit. Le maréchal Soult, major-général de l’armée, qui