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fut-elle suivie ! J’ai connu en France un homme d’un esprit élevé, M. l’abbé Frère, qui avait un système à lui sur ce qu’il appelait les périodes sociales. Selon ses calculs, la France était dans l’âge des applications, tandis que l’Angleterre était dans l’âge du perfectionnement. Sans discuter un tel système, je puis dire que ses vues me semblent justes en ce qui regarde l’industrie du papier. Les Anglais ont incontestablement emprunté leurs procédés de fabrication à toute l’Europe, mais ils les ont marqués d’un cachet d’amélioration qui leur appartient. On sera d’ailleurs à même de se former tout d’abord une idée de l’importance qu’occupe aujourd’hui cette branche d’industrie dans la Grande-Bretagne par le chiffre des capitaux qui se trouvent engagés dans les manufactures de papier. Ce chiffre a été évalué tout dernièrement de 7 à 9 millions de livres sterling.

Le papier anglais peut être étudié à trois points de vue, avant, pendant et après la fabrication. Avant, c’est du chiffon, et cette base industrielle donne lieu à un commerce intérieur et extérieur fort étendu, car, outre ses propres chiffons, l’Angleterre recueille les chiffons du monde entier, excepté jusqu’ici ceux de la France et de la Belgique. Les fabriques ou moulins à papier existent sur toute la surface de la Grande-Bretagne, quoiqu’ils affectionnent surtout les eaux vives du Kent, du Buckshire, du Hertshire, et en Écosse les bords de l’Esk ; mais c’est à Londres seulement que nous pourrons nous faire une idée de la consommation de ce produit industriel.


I.

Dans l’une des rues de Deptford, un village situé à trois milles de Londres, je m’arrêtai un jour devant une boutique chargée d’inscriptions et d’hiéroglyphes. Au-dessus de la porte, à une quinzaine de pieds du sol, pendait attaché à un croc de fer un affreux mannequin. C’était une sorte de poupée monstrueuse à trois têtes peintes en noir et couronnées d’une chevelure de crin. Sur cette figure de bois grossièrement sculptée, la hache ou le ciseau avait exagéré les traits de la race éthiopienne, un nez aplati et de grosses lèvres. Il n’y avait ni jambes ni bras, mais le corps était indiqué par trois cerceaux recouverts d’une toile écrue. On eût dit une idole, un hideux fétiche taillé dans un tronc d’arbre par les nègres du Congo. Une autre circonstance arrêta ma vue : c’était un os énorme fixé aux volets par une barre de fer, et qui semblait le débris de quelque colosse antédiluvien. Sur cette relique usée par le vent et la pluie, mais qui, toutes réflexions faites, pouvait avoir appartenu à un cheval ou à un bœuf, était écrit en lettres rouges : « Dépêche-toi de me vendre tes os. » Je lus aussi sur une feuille de carton :