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papier est de 1050. Parmi les richesses archéologiques conservées à la Tour de Londres, on trouve une lettre adressée à Henri III et écrite avant 1222 sur du fort papier. Ces dates nous apprennent néanmoins peu de chose : d’abord rien ne prouve que les monumens parvenus jusqu’à nous soient les premiers du genre, et ensuite ils ne nous disent point le moment où le papier cessa d’être une marchandise exotique pour devenir un produit indigène. Le papier était d’abord connu en Europe sous le nom de parchemin grec. Il est facile de s’expliquer ce nom par les usages invariables de l’industrie. Quand une découverte succède à une autre, elle marche longtemps encore sur les brisées de celle qui l’a précédée, et s’efforce de lui ressembler dans la forme. C’est ainsi que le papier, destiné à détrôner plus tard toutes les autres matières industrielles sur lesquelles on avait coutume d’écrire, se donna humblement à l’origine pour un substitut du parchemin.

Les premières fabriques de papier établies en Europe étaient des fabriques de papier de coton. Il en existait une en Toscane dès le commencement du XIVe siècle. Une autre s’éleva en 1390, à Nuremberg, par les soins d’un certain Ulman Stromer, qui écrivit le premier, livre sur l’art de faire le papier. Tous ses ouvriers prêtaient le serment solennel de ne point apprendre aux autres le secret de la fabrication et de ne point en faire usage pour leur propre compte. Ce secret était si bien protégé dans toute l’Europe, que, deux ou trois siècles plus tard, les Hollandais prohibaient, sous peine de mort, l’exportation des moules à l’étranger. Ce fait seul n’explique-t-il point la lenteur avec laquelle se transmit un art dont les propriétaires se montraient l’un après l’autre si jaloux ? La fabrication du papier de linge suivit celle du papier de coton à une distance de quelques siècles. Cette innovation paraît d’ailleurs avoir été successive, les anciens fabricans ayant mêlé d’abord dans leur papier le chiffon de coton et le chiffon de linge, jusqu’à ce qu’ils fissent de ce dernier un usage à part. Quoi qu’il en soit, l’usage du papier devint commun à partir de ce moment-là dans toute l’Europe. Il était temps, s’écrient les économistes protestans de l’Angleterre, et jamais découverte ne vint plus à propos, car les moines étaient en train de détruire les trésors de la littérature grecque et latine en effaçant sur les parchemins, alors assez coûteux, le texte des auteurs de l’antiquité, pour le remplacer par des légendes et des chroniques puériles. Un clergyman du dernier siècle a même écrit un traité sur cette question : « la découverte du papier n’a-t-elle pas été plus utile que celle de l’imprimerie à la cause de la réforme religieuse et au progrès des lumières ? » Sans s’arrêter à un parallèle inutile entre les services qu’ont rendus à l’esprit humain ces deux auxiliaires et sans discuter les titres plus ou moins grands