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ces grandes résolutions qui ont déjà tant de fois surpris le monde. Les corps français achèveront de se concentrer, le général prendra son parti, et le lendemain, à la pointe du jour, les troupes bien rassemblées et reposées, il rachètera aisément par quelque coup rapide, imprévu, les lenteurs de la veille. D’ailleurs ces retards, que l’on ne peut nier, il faut les attribuer aux accidens, inévitables dans une première attaque de frontière sur une ligne aussi étendue que celle de Marchiennes à Châtelet : surtout il faut en accuser les généraux, Vandamme d’abord, encore tout étonné de son désastre de Culm ; Grouchy, trop neuf peut-être pour de si grands commandemens : Reille, d’Erlon, à peine remis de la journée de Vittoria. Les uns se sont laissé imposer par l’ennemi, les autres, faute de vigilance, ont trop fait traîner leurs colonnes ; mais au milieu de tant d’hésitations, de négligences, un seul est resté infaillible, un seul n’a pas été effleuré par l’adversité. Celui-là réparera les fautes de tous les autres.


II. — EXAMEN DES REPROCHES ADRESSÉS AU MARÉCHAL NEY DÈS L’ENTRÉE EN CAMPAGNE.

Le maréchal Ney venait d’atteindre à Charleroi le quartier-général. Il était resté jusqu’au 11, dans l’ignorance de ce qui se préparait, seul à sa terre des Coudraux, ne sachant même s’il aurait un commandement dans la prochaine campagne. La retraite d’un tel homme aux champs, loin de l’armée, avait servi à dissimuler plus longtemps l’imminence de la guerre. Averti seulement le 11, il arrivait précipitamment, avec un seul officier, sans équipages, longtemps retardé faute de chevaux. À Beaumont, il avait pu en acheter deux du maréchal Mortier. C’était toujours, à l’approche de l’ennemi, le même Michel Ney, invulnérable, la taille fière, la face du lion au repos. Tout au présent, personne n’était plus que lui facile à l’espérance. Il arrivait impatient d’agir, certain de couvrir les calamités ou les reproches des derniers mois par quelque nouveau prodige de fermeté et d’audace qui le réconcilierait en un jour avec sa vieille renommée.

Napoléon, en sortant de Charleroi, le rencontra sur la grande route, vers quatre heures et demie. Il l’accueille avec joie, il lui donne le commandement des deux premiers corps (d’Erlon et Reille), auxquels il joint la cavalerie légère de Piré et la grosse cavalerie de Kellermann. Cela forme un corps d’armée d’environ 48,000 hommes. « Allez et poussez l’ennemi ! » c’est par là qu’il termine ses brèves instructions, sans mettre pied à terre. L’aide-de-camp Heymès, à cheval à côté du maréchal, n’en entendit pas d’autres.

Ney court rejoindre ses troupes sur la grande route de Bruxelles. À trois lieues, à Gosselies, il rencontre le général Reille avec deux