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Alors il partit d’un grand éclat de rire, et tous les assistans eurent la chair de poule.

Ayant fait cette plaisanterie agréable, le docteur Lorquin reprit d’un ton plus grave : — Hullin, il faut que je vous tire les oreilles. Comment ! lorsqu’il s’agit de défendre le pays, vous m’oubliez !… Il faut que d’autres m’avertissent… Il me semble pourtant qu’un médecin n’est pas de trop ici ! Je vous en veux.

— Pardonnez-moi, docteur, j’ai tort, dit Hullin en lui serrant la main. Depuis huit jours il s’est passé tant de choses ! On ne pense pas toujours à tout… Et d’ailleurs un homme comme vous n’a pas besoin d’être prévenu pour remplir son devoir.

Le docteur se radoucit : — Tout cela est bel et bon, s’écria-t-il, mais cela n’empêche pas que par votre faute j’arrive trop tard. Les bonnes places sont prises, les croix distribuées. Voyons, où est le général, que je me plaigne !

— C’est moi.

— Oh ! vraiment.

— Oui, docteur, c’est moi, et je vous nomme notre chirurgien en chef.

— Chirurgien en chef des partisans des Vosges… Eh bien ! cela me va. Sans rancune, Jean-Claude.

S’approchant alors de la voiture, le brave homme dit à Catherine qu’il comptait sur elle pour l’organisation des ambulances. — Soyez tranquille, docteur, répondit la fermière, tout sera prêt. Louise et moi, nous allons nous en occuper dès ce soir ; n’est-ce pas, Louise ?

— Oh ! oui, maman Lefèvre, s’écria la jeune fille, ravie de voir qu’on entrait décidément en campagne, nous allons bien travailler, nous passerons la nuit s’il le faut. Monsieur Lorquin sera content.

— Eh bien donc ! en route ! Vous dînez avec nous, docteur ?

La charrette partit au trot. Tout en la suivant, le brave docteur racontait en riant à Catherine comment la nouvelle du soulèvement général lui était parvenue, la désolation de sa vieille gouvernante Marie, qui voulait absolument l’empêcher d’aller se faire massacrer par les kaiserlicks, enfin les différens épisodes de son voyage depuis Quibolo jusqu’au village des Charmes. Hullin, Materne et ses garçons marchaient à quelques pas en arrière, la carabine sur l’épaule, et c’est ainsi qu’ils montèrent la côte, se dirigeant vers la ferme du Bois-de-Chênes.

Erckmann-Chatrian.

(La deuxième partie au prochain n°.)