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— Sans doute ; n’oublie pas Materne du Hengst et ses deux garçons, Labarbe du Dagsberg, Jérôme de Saint-Quirin. Dis-leur qu’il y aura de la poudre, des balles, et que j’en suis, moi, Marc Divès, la mère Lefèvre, tous les braves gens du pays.

— Sois tranquille, Marc, je connais mes hommes.

— Alors à bientôt !

Ils se donnèrent une vigoureuse poignée de main. Le contrebandier prit le sentier à droite, vers le Donon, Hullin le sentier à gauche, vers la Sarre. Ils s’éloignaient d’un bon pas, lorsque Hullin rappela son camarade : — Hé ! Marc, avertis en passant Catherine Lefèvre que tout marche bien. Dis-lui que je vais dans la montagne. — L’autre répondit par un signe de tête qu’il avait compris, et tous deux poursuivirent leur route.


VI.

Une agitation extraordinaire régnait alors sur toute la ligne des Vosges ; le bruit de l’invasion prochaine se répandait de village en village, jusque dans les fermes et les maisons forestières du Hengst et du Nideck. Les colporteurs, les rouliers, les chaudronniers, toute cette population flottante qui va sans cesse de la montagne à la plaine, et de la plaine à la montagne, apportait chaque jour de l’Alsace et des bords du Rhin une foule de nouvelles étranges : « Les places, disaient ces gens, se mettent en état de défense ; on fait des sorties pour les approvisionner en blé, en viande ; les routes de Metz, de Nancy, de Huningue, de Strasbourg, sont sillonnées de convois. On ne rencontre partout que des caissons de poudre, de boulets et d’obus, de la cavalerie, de l’infanterie, des artilleurs se rendant à leur poste. Le maréchal Victor, avec ses douze mille hommes, tient encore la route de Saverne ; mais les ponts des places fortes sont déjà levés de sept heures du soir à huit heures du matin. »

Chacun pensait que tout cela n’annonçait rien de bon. Cependant, si plusieurs éprouvaient une crainte sérieuse de la guerre, si les vieilles femmes levaient les mains au ciel en criant : « Jésus-Marie-Joseph ! » le plus grand nombre songeait au moyen de se défendre. Jean-Claude Hullin en de telles circonstances fut bien reçu partout. Ce jour même, vers cinq heures du soir, il atteignit la cime du Hengst, et s’arrêta chez le patriarche des chasseurs forestiers, le vieux Materne. C’est là qu’il passa la nuit, car en temps d’hiver les journées sont courtes et les chemins difficiles. Materne promit de surveiller le défilé de la Zorn avec ses deux fils, Kasper et Frantz, et de répondre au premier signal qui lui serait fait du Falkenstein. Le lendemain, Jean-Claude se rendit de bonne heure au Dagsberg pour