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le roc, il rencontra la marche, et, faisant un demi-tour, il se trouva face à face avec son camarade dans une sorte de niche en ogive, aboutissant autrefois sans doute à quelque poterne. Au fond de la niche s’ouvrait une voûte basse.

— Comment diable as-tu découvert cela ? s’écria Hullin tout émerveillé.

— C’est en cherchant des nids il y a trente-cinq ans. J’étais un jour sur la roche, et j’avais vu sortir souvent de là un grand-duc avec sa femelle, deux oiseaux magnifiques, la tête grosse comme mon poing et les ailes larges de six pieds. J’entendais crier leurs petits, et je me disais : « Ils sont près de la caverne, au bout de la terrasse. Si je pouvais tourner un peu plus loin que la brèche, je les aurais ! » À force de regarder, de me pencher, je finis par voir un coin de la marche au-dessus du précipice. Il y avait un houx solide à côté. J’empoigne le houx, j’étends la jambe, et ma foi j’arrive ici… Quelle bataille, Hullin ! Le vieux et la vieille voulaient m’arracher les yeux. Heureusement il faisait jour. Ils sautaient sur moi comme des coqs, ouvraient le bec, sifflaient ; mais le soleil les éblouissait. Je leur donnais des coups de pied. À la fin, ils allèrent tomber sur la pointe d’un vieux sapin, là-bas, et tous les geais du pays, les grives, les pinsons, les mésanges, volèrent autour d’eux jusqu’à la nuit pour leur arracher des plumes. Tu ne peux pas te figurer, Jean-Claude, la masse d’os, de peaux de rats, de levreaux, de charognes de toute espèce qu’ils avaient entassées dans cette niche. C’était une véritable peste. Je pousse tout ça dans le Jägerthâl, et je vois ce conduit. Il faut te dire qu’il y avait trois petits. Je commençai par leur tordre le cou et par les fourrer dans mon sac. Après cela, bien tranquille, j’entre, et tu vas voir ce que je trouve… Arrive !

Ils se glissèrent alors sous la voûte étroite et basse, formée de pierres rouges énormes, où la lumière projetait en fuyant sa lueur vacillante. Au bout de trente pas environ, un vaste caveau de forme circulaire, effondré par le haut, bâti sur le roc vif, apparut à Hullin. Au fond s’élevaient une cinquantaine de petites tonnes en pyramide, et sur les côtés un grand nombre de lingots de plomb, des sacs de tabac, dont la forte odeur imprégnait l’air. Marc avait déposé sa lanterne à l’entrée de la voûte, et regardait son repaire le front haut, le sourire aux lèvres. — Voilà ce que je découvris, dit-il ; dans ce temps-là, Jean-Claude, j’avais douze ans. Je pensai tout de suite que cette cachette pourrait m’être utile un jour. Je n’en dis rien au village, mais j’y pensais toujours. Plus tard, quand j’eus fait mes premières tournées de contrebande à Landau, Kehl, Bâle, avec Jacob Zimmer, et que durant deux hivers tous les douaniers furent à nos trousses, alors l’idée de mon vieux caveau se mit à me poursuivre