Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mies séparées, tout ce qui prépare un succès décisif, et, si l’on s’en rapporte aux aveux des étrangers, il n’avait tenu qu’à Napoléon de les mettre dans une situation presque désespérée, car, ce qu’ils n’avaient pas avoué dans les temps rapprochés de 1815, ils l’ont déclaré plus tard. Ramenés à la vérité par le temps et l’expérience, ils avouent aujourd’hui que cette soudaine irruption du 15 les avait déconcertés, que le commencement de la campagne avait été singulièrement heureux pour les Français ; il ne leur restait qu’à achever avec vigueur ce qui avait été combiné avec habileté. En effet, des quatre corps du maréchal Blücher, celui de Ziethen était le seul qui eût pu se réunir ; encore le matin était-il disséminé, ses avant-postes occupaient une ligne de plus de seize lieues, de Dinant jusqu’à Binche. Une partie de ses troupes avaient été coupées pendant la journée presque entière, et ce n’est qu’à onze heures du soir que ce corps se concentra entre Ligny et Saint-Amand, à cinq ou six lieues en arrière de la ligne qu’il occupait le matin.

Le 2e corps, celui de Pirch, arrivé de Namur, n’avait pu dépasser Mazy. Il se trouvait ainsi à deux lieues de la position du général Ziethen. Quant à Thielmann, il ne quitta ses cantonnemens de Ciney qu’à sept heures et demie du matin. Il passa la nuit à Namur, c’est-à-dire à cinq lieues plus loin que Pirch. Le 4e corps prussien, celui de Bulow, était bien moins encore en état de tenir tête à une première et vigoureuse attaque des Français. Il se réunissait à Liège, à près de vingt lieues du champ de bataille[1].

Les corps prussiens semblaient donc s’offrir d’eux-mêmes séparément aux coups de Napoléon dans les premiers momens, où ils ne pouvaient attendre aucun appui les uns des autres ; mais pour cela il fallait que pas un instant ne fût perdu. Aujourd’hui les Prussiens demandent pourquoi le chef de l’armée française les a laissés respirer, se concentrer sans obstacle depuis onze heures du matin jusqu’à six heures du soir. Il y eut là pour le général Ziethen et la division Pirch un moment bien difficile. Le péril était certain pour eux. On n’en profita pas. Pourquoi cela ? Le retard du corps de Vandamme en fut-il la cause ? C’est là l’excuse que l’on assigne le plus souvent ; mais assez d’autres troupes avaient passé la Sambre à Charleroi. Pourquoi ne s’en servit-on pas ? Peut-être Napoléon ne voulut-il pas engager la garde dès le début de la campagne ; mais il avait sous la main tout le corps de Lobau, le 6e. On dit aussi que le maréchal Grouchy accuse Vandamme d’avoir refusé son concours pour l’attaque de Fleurus. Ainsi déjà les généraux se plaignent les uns des autres, en attendant que le chef se plaigne de tous. Le plus certain, c’est que l’irrésolution était dans le commandement quand

  1. Voyez Damitz, Clausewitz.