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risquait d’être perdue, si le corps principal ne lui permettait, en s’arrêtant, de se rabattre par des chemins de traverse sur Gilly ou Fleurus.

Dans cet intervalle, le maréchal Grouchy, avec un corps de dragons, avait pris les devans vers Gilly. Il croyait les troupes de Ziethen en pleine retraite ; il les voit, établies dans un bon poste, prêtes à accepter le combat. Cette hardiesse lui impose ; d’ailleurs il ne commandait alors que la cavalerie. Pouvait-il, sans un seul fantassin, forcer un village défendu par de nombreux abatis ? Il revient de sa personne auprès de Napoléon, il raconte ce qu’il a vu : des masses d’infanterie sont embusquées en avant des bois de Lambusart et de Fleurus. Probablement par-delà tout le corps de bataille est caché, en seconde ligne, dans les vastes plis de terrain qui de ce côté dérobent l’horizon. C’est à l’empereur d’en décider d’un coup d’œil.

Napoléon part avec Grouchy ; il va un peu tardivement, accompagné de quatre escadrons de service, reconnaître les lieux par lui-même. Ce n’est pas l’armée prussienne tout entière, comme on l’avait cru d’abord, mais seulement 18 ou 20,000 hommes qui sont devant lui. Il ordonne d’attaquer avec l’infanterie de Vandamme dès qu’elle se présentera. Ce corps, longtemps attendu, vient en effet de déboucher ; mais il est déjà près de six heures du soir. Les colonnes de Vandamme s’avancent en échelons par la droite, de manière à envelopper le village de Gilly. L’attaque est soutenue par deux brigades de dragons d’Exelmans prêts à déborder l’aile gauche des Prussiens et à les charger en flanc.

Le général Ziethen avait réussi à gagner du temps ; c’était la seule chose qu’il pût désirer. Il retire ses troupes par Lambusart, sur Fleurus. Un bataillon est rompu et pris presque en entier ; mais la division continue de se retirer sans être entamée davantage. Elle atteint la lisière du bois en avant de Lambusart, où elle déploie ses tirailleurs. Impatient de la lenteur de cette retraite, sentant déjà que le temps presse, Napoléon envoie à la charge, comme dans un cas extrême, ses escadrons de service. C’est dans cette charge que son aide-de-camp, le général Letort, reçut la blessure dont il mourut le surlendemain. Aucun officier français n’avait vu avec plus d’indignation que lui les étrangers maîtres de la France en 1814. Je tiens de ceux qui l’ont connu de près qu’il avait failli plus d’une fois éclater devant les bataillons russes et prussiens qui défilaient dans Paris. Il représentait tout ce qu’il y avait de généreuses colères dans l’armée. Nul n’était plus impatient de se venger ou de mourir.

Tel fut le résultat de cette première journée : le passage de la Sambre, 12 ou 1,500 hommes pris ou tués, les deux armées enne-