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vieux lied du minnesinger Erhart, lorsqu’il dit : « J’ai vu passer un rayon de lumière, mes yeux en sont encore éblouis… Était-ce un regard de la lune à travers le feuillage ? Était-ce un sourire de l’aurore au fond des bois ? — Non,… c’était la belle Édith, mon amour qui passait… Je l’ai vue, et mes yeux en sont encore éblouis. »

Louise n’aimait que les champs, les jardins et les fleurs. Au printemps, les premières notes de l’alouette lui faisaient répandre des larmes d’attendrissement. Elle allait voir naître les bluets et l’aubépine derrière les buissons de la côte ; elle guettait le retour des hirondelles au coin des fenêtres de la mansarde. C’était toujours la fille des heimathslôs errans et vagabonds, seulement un peu moins sauvage. Hullin lui pardonnait tout ; il comprenait sa nature et lui disait parfois en riant : — Ma pauvre Louise, avec le butin que tu nous apportes, tes belles gerbes de fleurs et d’épis dorés, nous mourrions de faim dans trois jours ! — Alors elle lui souriait si tendrement et l’embrassait de si bon cœur, qu’il se remettait à l’ouvrage en disant : — Bah ! qu’ai-je besoin de gronder ? Elle a raison, elle aime le soleil… Gaspard travaillera pour deux, il aura du bonheur pour quatre… Je ne le plains pas, au contraire… Des femmes qui travaillent, on en trouve assez, et ça ne les rend pas plus belles ; mais des femmes qui aiment !… Quelle chance d’en rencontrer une, quelle chance ! — Ainsi raisonnait le brave homme, et les jours, les semaines, les mois, se suivaient dans l’attente prochaine du retour de Gaspard.

La mère Lefèvre, femme d’une extrême énergie, partageait les idées de Hullin au sujet de Louise. — Moi, disait-elle, je n’ai besoin que d’une fille qui nous aime ; je ne veux pas qu’elle se mêle de mon ménage. Pourvu qu’elle soit contente !… Tu ne me gêneras pas, n’est-ce pas, Louise ? — Et toutes deux s’embrassaient !… Mais Gaspard ne revenait toujours pas, et depuis deux mois on n’avait plus de ses nouvelles.

Or ce jour-là, vers le milieu du mois de décembre 1813, entre trois et quatre heures de l’après-midi, Hullin, courbé sur son établi, terminait une paire de sabots ferrés pour le bûcheron Rochart. Louise venait de déposer une écuelle de terre fleuronnée sur le petit poêle de fonte, qui pétillait et bruissait d’un ton plaintif, tandis que la vieille horloge comptait les secondes de son tic tac monotone. Au dehors, tout le long de la rue, on remarquait de ces petites flaques d’eau recouvertes d’une couche de glace blanche et friable, annonçant l’approche des grands froids. Parfois on entendait courir de gros sabots sur la terre durcie ; on voyait passer un feutre, un capuchon, un bonnet de coton, puis le bruit s’éloignait, et le sifflement plaintif du bois vert dans la flamme, le bourdonnement du rouet de Louise et le bouillonnement de la marmite reprenaient le