Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/993

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faiteur, car les hommes sont ingrats. Prenez cette vérité pour mesure, si vous ne voulez pas vous tromper.

« J’ai posé la maxime qui précède parce que je connais la vie et sais ce que valent les choses, mais non pour vous dégoûter de répandre des bienfaits; outre que c’est une chose généreuse et qui procède d’une belle âme, on voit encore quelquefois qu’un bienfait est reconnu et d’une manière qui compense beaucoup de déceptions. Il est d’ailleurs permis de penser que cette puissance qui est au-dessus des hommes se plaît aux actions nobles, et ne permet pas qu’elles restent toujours sans récompense.

« Fais tout pour paraître bon, cela sert à beaucoup de choses: mais comme les opinions fausses ne durent pas, difficilement tu réussiras à le paraître longtemps si tu ne l’es en effet. Mon père me le disait déjà. »


Restons-en sur ces dernières citations. Nous avons ici le vrai Guichardin, l’homme qui, dans une époque féconde, mais troublée, a pris en pitié ce combat de la vie qui, bien soutenu, porte en lui-même sa récompense, parce qu’il élève et fortifie les âmes; l’homme qui a oublié, pour le gain passager du succès matériel et extérieur, l’inaliénable et viril triomphe de la grandeur morale; l’homme qui s’est résigné à ce que la froide expérience devînt la règle finale de sa vie, après avoir réduit l’expérience aux étroites limites d’un calcul entre la somme des revers et la somme des succès que comporte la vie humaine, comme à l’égoïste satisfaction d’une moyenne de bonheur à conquérir à tout prix et par tous les moyens. Celui-là seul est sage, selon Guichardin, qui ne porte pas plus loin ses vœux: celui-là seul est sage qui sait marcher invinciblement vers ce médiocre but : s’il l’atteint sans qu’on ait pénétré ses intrigues, c’est un habile homme; il est bien plus habile s’il a su n’employer que d’estimables armes: s’il a échoué faisant bien, c’est un sot, d’autant plus sot s’il méritait davantage. Du reste, il faut rendre cette justice à Guichardin qu’après avoir parcouru laborieusement la route, il s’efforce d’instruire les autres hommes à sa manière, leur signalant les instrumens et les obstacles ou ce qui est tel à son gré, leur dénonçant les pièges, les guidant de son mieux, cela sans leur dissimuler pourtant le néant du succès tel qu’il se l’est proposé, tel qu’il l’a lui-même atteint.


« J’ai désiré, comme font tous les hommes, la richesse et les honneurs, et souvent j’en ai obtenu au-delà de mon désir et de mon espérance. Néanmoins je n’ai jamais trouvé en eux cette satisfaction que j’avais imaginée. Quelle raison, si l’on y pensait bien, pour rabattre la vaine cupidité des hommes!

« La grandeur et les honneurs sont communément souhaités, parce que tout ce qu’ils contiennent de beau et de bon apparaît au dehors, gravé sur la surface, et que les soucis, les fatigues, les dégoûts, les périls intérieurs,