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les rapports de ceux qui ont fait le bois et décider le point d’attaque[1]. L’heure est venue où commence ce petit drame qu’on appelle la chasse à courre et dont nous n’avons point à décrire les péripéties bien connues. Ce serait peut-être s’écarter du cadre de ces études que d’envisager ici la chasse autrement que comme un simple épisode de la lutte soutenue de tout temps par l’homme contre les animaux nuisibles aux forêts.


IV.

Considérée au point de vue de l’économie forestière, la chasse a une histoire qui mérite de nous arrêter quelques instans. La chasse était autrefois, comme le droit de battre monnaie, l’apanage exclusif de la souveraineté. Le roi seul chassait dans les forêts royales, les seigneurs dans celles qui dépendaient de leurs domaines. Quant aux vilains, ce plaisir leur était absolument interdit. Tout acte de leur chasse était considéré comme une usurpation, comme un empiétement sur les privilèges de la noblesse, et puni des peines les plus sévères, des galères ou de la mort. Il n’était même pas permis au paysan de défendre ses champs contre le gibier, et bien souvent il fut obligé de les laisser incultes dans l’impossibilité où il se trouvait de sauver ses récoltes[2]. Le bois alors n’avait que peu de valeur, les seigneurs n’y attachaient que peu de prix, et tandis qu’ils se réservaient exclusivement le droit de chasse, on les voit souvent

  1. Ce n’est pas une petite affaire que ce rendez-vous, c’est même une des phases de la chasse les plus intéressantes. Du Fouilloux l’a reconnu dans un naïf passage qu’on aime à citer ici. « L’assemblée, dit-il, doit se faire en quelque beau lieu, sous des arbres, auprès d’une fontaine ou ruisseau, là où les veneurs doivent se rendre pour faire leur rapport. Cependant le sommelier doit venir avec trois bons chevaux chargés d’instrumens pour arrouser le gosier, comme coutrets, barils, flacons et bouteilles, lesquelles doivent être pleines de bon vin d’Arbois, de Beaune, de Chaloce et de Grave. Lui, étant descendu de cheval, les mettra en l’eau, ou bien pourra faire refroidir avec du canfre; après il étendra la nappe sur la verdure. Ce fait, le cuysinier s’en viendra chargé de plusieurs bons harnois de gueule, comme jambons, langues de bœuf, groings, oreilles de pourceau, cervelas, eschines, pièces de bœuf de saison, carbonnades, jambons de Mayence, pastez, longes de veau froides, et autres menus suffrages pour remplir le boudin, lesquels il mettra sur la nappe. Lors le roy ou le seigneur avec ceux de sa table étendront leurs manteaux sur l’herbe, et se coucheront le côté dessus, beuvans, mangeans, rians et faisant grande chère. Puis, quand tous les veneurs seront arrivés, ils feront leur rapport, présenteront leurs fumées au roy ou au seigneur, racontant chacun ce qu’il aura vu. »
  2. Le droit de garenne, exercé et reconnu jusqu’en 1270, consistait dans une défense absolue faite aux vassaux de chasser sur leurs propres terres, en sorte que, ne pouvant vivre en présence des animaux féroces qui se multipliaient impunément, ils étaient obligés d’émigrer en abandonnant leurs biens aux seigneurs.