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suite notre récolte prendre en nous la forme qu’il lui plaira, celle d’une fiction, d’un rêve fantastique ou d’une histoire. S’astreindre à définir un fait, à relater un événement, à faire comprendre une idée, ce n’est que de la prose. Peinture, poésie, musique, l’art est la vérité humaine et vivante. Comme l’a dit Schiller, l’instinct qui l’inspire est un instinct de jeu. Nous sommes artistes quand nos facultés s’ébattent, quand, au lieu d’être attelées comme des chevaux de trait à un propos délibéré, elles s’enivrent en nous du plaisir d’exercer leurs forces, de s’abandonner à leurs seuls entraînemens, et que par là même elles ne révèlent que mieux leur nature.

D’échelon en échelon, si l’on remontait jusqu’à la cause première du système erroné de M. Ruskin, peut-être trouverait-on que son seul tort est d’avoir trop abondé dans le sens de sa race, d’avoir été, par son besoin de rendre la peinture pratiquement utile, un représentant et un organe trop fidèle du terrible sérieux de l’Angleterre; mais cela n’est pour sa théorie qu’une circonstance aggravante. Au lieu de contenir les penchans qui déjà dominent à l’excès autour de lui, il les flatte et les surexcite encore; au lieu d’ouvrir les yeux de l’école anglaise sur ce qui lui manque, il l’encourage à se faire un mérite de ses défauts. A l’heure qu’il est surtout, c’est d’une tout autre leçon que les esprits auraient besoin. Dernièrement on a construit à Oxford un musée destiné aux collections scientifiques, et tout autour de la cour principale du bâtiment quatre rangs de colonnes méthodiquement classées présentent comme une carte allégorique de la constitution du sol anglais. L’architecte n’a pas choisi ses matériaux en vue d’un effet architectural; il a voulu que les diverses espèces de marbre et de pierre colorée qui se trouvent en Angleterre fussent chacune représentée par un spécimen dans sa colonnade, afin que le cloître aussi eût un enseignement à transmettre. Le musée d’Oxford me semble un excellent symbole de ce qui se passe dans toute l’Angleterre à l’endroit des beaux-arts. Ailleurs on s’est occupé des tableaux parce qu’on les aimait, ou on les a négligés parce qu’on ne s’en souciait pas. Ici c’est une passion d’architecture et de peinture qui est enfantée par l’amour de la science; c’est une soif d’instruction qui a l’idée fixe de se satisfaire par des monumens, c’est un enthousiasme qui veut des œuvres plastiques, qui en veut encore, mais qui semble inspiré par le mépris même des sentimens plastiques, et qui n’entend admirer ou tolérer les sculptures et les tableaux qu’autant qu’ils seront devenus des leçons d’histoire, de morale ou de philosophie. «Au lieu des Jupiters, des Vénus et des Apollons, s’écriait un journal très répandu en réclamant la réforme de l’Académie royale, en lui reprochant la part qu’elle fait dans son enseignement aux études d’après l’antique, au